Tout le monde connaît les Rats de l'Opéra,
Race avide, aux dents implacables ;
Il ne faut pas compter qu'elle respectera
Rien des choses qui sont croquables ;
C'est à qui les grignotera,
Les rongera, les détruira !
On a bien compris, je le pense,
Que je n'ai pas l'impertinence
D'attaquer le corps de ballet,
Corps qui brille par l'innocence
Tout autant que par le mollet ;
Je parle des vrais rats, des rats à quatre pattes,
Dont l'appétit vorace attaque tour à tour
Côté Jardin et côté Cour ;
Un escadron de matous et de chattes
Leur fait la chasse nuit et jour.
Or donc, parmi cette gent grignotante,
Était un certain Rat, malin comme un renard)
Flairant de loin le plus fin traquenard
Et se moquant des chats comme de l'an quarante ;
Ceux-ci le connaissaient fort bien,, et chacun d'eux
Pour l'attraper eût donné tout le reste.
Un capitaine Chat, résolu, fort et leste,
Avait juré par ses aïeux
De l'avoir mort ou vif : esprit fécond et preste,
Il s'avisa d'un tour assez ingénieux.
Au théâtre on emploie, en mainte circonstance,
Un pâté de carton avec art imité :
Mon chat le prit un soir, et, bien en évidence,
Le plaça près du trou par le Rat habité ;
Puis, comme un Grec dans le Cheval de Troie,
Tapi sous le couvercle, il attendit sa proie.
L'Opéra, si brillant naguère, et si bruyant,
Était rentré dans l'ombre et le silence j
Mais tout ne dormait pas dans l édifice immense
Un petit monde frétillant
Allait bientôt entrer en danse.
Sur le bord de son trou l'on aperçut bientôt
Le museau du Rat légendaire :
Il n'avait pas traduit Homère,
Mais il flaira quelque complot.
« Réfléchissons d abord, dit-il avec prudence :
Pourquoi les chats, qui sont filous
Et gourmands tout autant que nous,
Paraissent-ils ignorer l'existence
De ce morceau de résistance ?
Il n'en resterait déjà plus
Si quelque bon poison ne s'y trouvait inclus.
Abstenons-nous ! » Il dit, et d'une contre-basse
Il alla, par un long détour,
Entamer les boyaux jusques au petit jour ;
Enfin, rentré chez lui, du bord de sa crevasse
Le coquin put encor savourer la grimace
Que fit, en quittant son pâté,
Maître Chat fort désappointé.
En amour aussi bien qu'en guerre,
Ce que l'on veut, il faut qu'on le conquière ;
Défions-nous d'un fort comme d'un cœur
Qui, sans combat, sont rendus au vainqueur.