Le Rat et le Grelot Louis-François Jauffret (1770 - 1850)

Victime d'un moment d'erreur,
Un Rat se trouva pris dans une souricière.
Jeune encore et plein de vigueur,
Dieu sait s'il s'agita pour forcer la barrière !
Reprochant au destin son injuste rigueur,
Il trotte, il se débat une nuit tout entière.
Quelle nuit ! À la fin,, trop sûr de son malheur,
Contrit, il se dispose à son heure dernière.
Il renonce à la vie, en un coin se blottit,
Sans toucher au morceau de lard ou de fromage,
Cause de son désastre : a-t-on de l'appétit
Au moment de descendre au ténébreux rivage ?
Au moindre bruit il tremble, il craint de voir entrer
Le Rominagrobis qui doit le dévorer ;
Et d'avance la peur le tue.
Par bonheur, cette fois, il eut im meilleur sort.
Son heure n'était pas venue,
Et la Parque pour lui devait filer encor.
Le maître du logis à ses yeux se présente,
Sans être suivi du matou,
Fixe avec un ruban un Grelot à son cou,
Et lui dit : chez les tiens va porter l'épouvante.
Le captif, en fuyant, bénissait son destin,
Et pour rejoindre ses Pénates,
Du côté du grenier courait à toutes pattes,
Faisant tinter en son chemin
Le Grelot au son argentin.
On conçoit aisément de quel effroi soudain
Furent saisis les Rats, et comme tous s'enfuirent,
Quand si près d'eux ils entendirent
Drelin dindin, drelin dindin.
L'alarme fut au camp. Ce peuple n'est point brave.
Les malheureux, jusqu'au dernier,
Abandonnèrent le grenier,
Et descendirent à la cave.
Le seigneur au Grelot, s'emparant du terrain,
Va s'assurer du magasin.
Il trouve à chaque pas nouvelle victuaille.
Devenu maître souverain,
Il clôt l'œil du soir au matin ;
Puis, tout le long du jour, s'ébat et fait ripaille.
Ce Rat, en peu de temps, s'engraisse, s'arrondit.
Surpris, flatté de son genre de rie,
Avec transport en lui même il se dit :
O mon Grelot ! que je te remercie !
À la fin cependant il sentit du dégoût ;
L'abondance engendra la sombre inquiétude.
Faut-il s'en étonner ? on se lasse de tout,
Et surtout de la solitude.
Il trotte, il court dans la maison :
Pas même une souris ! Le moyen de s'y plaire ?
L'infortuné, d'une patte, en colère,
Va secouant, tiraillant le cordon
De ce Grelot, dont le funeste son
Met tous les Rats en fuite, et le rend solitaire.
Inutiles efforts ! il ne put s'en défaire.
Isolé, craint de tous, ermite malgré lui,
Que fit-il ? Il mourut de tristesse et d'ennui.
A son dernier soupir, on l'entendit se plaindre :
Sans voir un seul ami mes yeux vont se fermer,
Dit-il, de ses égaux celui qui se fait craindre,
Ne peut jamais s'en faire aimer.

Livre I, Fable 23




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