En ce monde est- il rien de plus embarrassant
Que d'avoir, étant faible, un ennemi puissant
Qui vous brave et qui vous opprime ?
Recourir à la ruse est alors légitime.
C'est ce que fit un rat contre un serpent maudit.
Mes enfants, écoutez, en voici le récit.

Ce rat, qui détestait le bruit et la diète,
Avait, dans le recoin d'un fertile jardin,
Au creux d'un roc, établi sa retraite
Un soir qu'il revenait d'un courant d'eau voisin,
Où, pour se délasser du chaud de la journée,
Il avait mollement pris le plaisir du bain,
disait à part soi : -J'ai dans mon magasin
Des vivres pour plus d'une année ;
Je récolte à mon choix la figue et le raisin ;
Du cellier aux jambons je connais le chemin,
Et ma cachette fortunée,
Ni par le jardinier Lubin,
Ni par Raton, chat peu malin,
Ne saurait être devinée ;
Bénissons donc notre destin.
En achevant ces mots, il arrive à son gite.
Jugez de sa frayeur subite :
Un horrible serpent s'en était emparé,
Et le reptile diapré
Au rat, qui crie à l'injustice,
Présente son dard acéré.

Maudissant des serpents la force et l'artifice,
L'animal expulsé jure de se venger.
Sans frémir il ne peut songer
Aux provisions nourrissantes,
An miel exquis, aux grappes jaunissantes,
Dont hardiment va se gorger
L'avide usurpateur de son garde- manger.
Tout en pestant, il fait retraite ;
Mais chaque jour il guette
Dès l'aurore son ennemi.
Certain dimanche, il voit sur une gerbe
Le jardinier doucement endormi,
Et le serpent qui sommeillait dans l'herbe.
Vers Lubin il trotte aussitôt,
Et sur la mine du rustaud
Promène, en l'agitant, sa queue.
L'homme à la souquenille bleue
Se réveille en sursaut,
Et découvre à deux pas le malin trouble-somme :
Impertinent, il faut que je t'assomme,
Dit-il ; et s'armant d'un gourdin
Il court après notre lutin.
Celui- ci fait si bien, par cent tours, qu'il attire
Lubin près du serpent : le jardinier surpris
Ne songe plus au rat, mais décharge son ire
Sur l'animal rampant, qui bientôt fut occis.

Le rat, hors de détresse,
Disait en regagnant son bien- aimé logis :
Ah ! qu'heureux seraient les petits,
S'ils pouvaient de leurs ennemis
Se défaire ainsi par adresse !

Fable 14




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