U N orgueilleux Vizir, favori du Sultan,
Voulant se signaler par sa magnificence,
Fit construire un Palais d'une étendue immense,
Et le plus beau qui fût dans l'empire ottoman.
Dès qu'il put l'habiter, voilà qu'il s'y transporte,
Suivi d'une nombreuse escorte.
Il en parcourt l'enceinte, et voit que tous les arts
Se sont piqués d'honneur pour charmer ses regards.
L'enchantement qu'il manifeste
Rassure l'architecte ; il vient, d'un air modeste,
Offrir, sur un coussin richement façonné,
Une clef d'or au prince, et lui dit : il vous reste,
Vizir auguste et fortuné,
A voir l'appartement qui vous est destiné.
Avec empressement le prince ouvre lui-même :
Il entre, et tout à coup il recule d'un pas.
Sur le plus pompeux des sophas,
Il voit un personnage à l'œil creux, au teint blême,
Étendu mollement, et qui lui tend les bras.
Quel est cet insolent ? comment se peut-il faire
Qu'il soit là ? s'écria le Vizir en colère.
Et, quoi ! dit l'intrus en bâillant,
Oses-tu bien me méconnaître ?
En qualité d'ami, dans ce Palais brillant,
Je me suis, ce matin, glissé par la fenêtre.
Apaise-toi, Visir. Ce n'est pas d'aujourd'hui
Que nous nous connaissons. Je me nomme l'Ennui.