Le Palais magique Antoine Le Bailly (1756 - 1832)

Élevé dans le faste, un jeune ambitieux
N'aspirait qu'à jouir des dons de la fortune,
Et d'une prière importune
Sans cesse il fatiguait les dieux.
Encor préoccupé d'un songe de la veille,
Songe dont il augure bien,
Il court chez un magicien,
Prôné dans le pays comme une autre merveille,
Pour apprendre de lui quel sort sera le sien.
Ce sorcier, par hasard, était homme de bien :
- Insensé ! lui dit-il, il sied mal à votre âge
D'ambitionner tant d'honneurs :
Puis la Fortune est femme, et son sexe est volage ;
Évitez donc ses pièges suborneurs.
Mais je vous prêche en vain : des seuls biens idolâtre,
Vous préférez de vivre avec les grands.
La cour est enfin le théâtre
Où vous brûlez d'atteindre aux premiers rangs.
Eh bien ! venez ; quittons ma cabane rustique ;
Venez, et je vais à vos yeux
Exposer un tableau magique
Qui pourra contenter vos désirs curieux.
Et sur ses pas le jeune homme s'avance :
Son cœur alors flotte incertain
Entre la crainte et l'espérance.
Cependant le vieillard le conduit en silence
Jusqu'au pied d'un autre Apennin.
Là, d'un seul coup de sa baguette,
Il a fait de ce mont un superbe palais.
De concurrents jaloux une foule inquiète
En assiège le seuil pour y trouver accès.
-Suivez-moi : visitons ce Louvre,
Reprend le bon sorcier.
— Soudain, la porte s'ouvre,
Et dès qu'ils sont entrés tous deux,
Elle se referme sur eux.
Jusqu'au fond d'un salon arrivés sans obstacle :
Que vois-je ?... O ravissant spectacle !
S'écria le jeune homme au comble de ses vœux.
Quels chefs- d'œuvre divins d'albâtre, de porphyre !
La toile aussi s'anime où le marbre respire....
Mais quel autre prodige enchante mes regards ?
Or, diamant, saphir, émeraude, topaze,
Sont en ces lieux semés de toutes parts... -
Frappé de tant d'éclat, il restait en extase.
--Sortons, dit l'autre ; il en est temps.
Voyez cet escalier ; il est des plus brillants :
Montons.- Comment monter ? ses degrés sont de verre.
-Oui, réplique en riant le sage conducteur,
Et souvent même, ici, tombé de sa hauteur,
Plus d'un jeune imprudent a mesuré la terre ;
Mais, pour gagner le faîte, on doit franchir ce pas.
Soit ! je veux parvenir au faîte ;
Donnez-moi seulement l'appui de votre bras,
Et plus d'obstacle qui m'arrête. —
Au sommet du palais ils sont enfin montés.
Quel changement subit ! Là, mille vents contraires
Les attaquent de tous côtés ;
Ouragans, la plupart : on n'y résiste guères.
-Ah ! dit l'ambitieux, que l'on est mal si haut !
Pouvais-je croire ?... Ami, descendons au plus tôt.
Tout tremble autour de moi.. ; mon pied chancelle et glisse.
-Tant pis. Il faut avoir un pied bien assuré
Pour sortir de ce lieu par où l'on est entré.
- Juste ciel ! je ne vois partout qu'un précipice...
Mes yeux avec effroi sondent sa profondeur...
Quel est donc ce Palais ? -Celui de la Grandeur.

Livre II, fable 5




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