L'Occasion manquée Antoine Le Bailly (1756 - 1832)

Maître Lambin, dans son petit ménage,
Aurait pu vivre heureux ; il avait deux bons bras,
Le travail ne lui manquait pas :
Mais monsieur n'aimait pas l'ouvrage.
Il vivait donc très pauvre, en regardant souvent
De quel côté soufflait le vent.
Lambin venait un jour d'achever un long somme,
Lorsqu'une femme ailée apparaît à notre homme.
C'est une déité dont le vol est si prompt
Que sans cesse elle glisse, en sa course incertaine,
Sur un rasoir tranchant où son pied touche à peine.
Un toupet de cheveux, qui lui couvre le front,
Dérobe sa figure entière,
Et la déesse enfin est chauve par- derrière.
– Çà, dit-elle à Lambin, debout, vite, et suis-moi.
-Debout ! c'est bientôt dit. Je veux savoir pourquoi.
-Je viens te combler de largesses.
-Est-il croyable ? -Oui, l'or va pleuvoir chez toi :
Honneurs, dignités, et richesses,
Voilà ton lot. - O ciel !... et quand puis-je l'avoir ?
- À l'instant. Suis mes pas. Mais où donc ? - Tu vas voir.
- Une minute au moins, pour passer ma mandille,
Et je vous suis. En achevant ces mots, -
Lambin fait mille tours ; à son aise il s'habille ;
Il perd le temps en vains propos,
Disant à sa moitié : - Vide-moi cette armoire ;
Pour mieux serrer mon or, vide ce coffre aussi.
Ce soir, la poule au pot ; je prétends rire et boire.
Me voilà riche ; et nargue du souci ! --
Lambin débite encor cent sottises pareilles,
Ne rêvant que monts et merveilles,
Et puis il part. Mais inutile soin !
Plus de déesse ! il la cherche, il l'appelle.
Hélas ! elle est déja bien loin :
Vainement il court après elle.
C'était l'Occasion : qui la laisse échapper
Ne saurait plus la rattraper.

Livre II, fable 7




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