Il était un Vizir, ministre vertueux,
Plein d'une sagesse profonde.
Il rendait heureux tout le monde,
Et lui seul n'était pas heureux.
Les caquets de la médisance,
Mainte et mainte intrigue de cour,
Les jaloux, les rivaux qui briguaient sa puissance
Lui rendaient le fardeau plus pesant chaque jour.
Il maudissait son sort quand lui vient un Ermite,
Savant dévot, esprit disert,
Qui, ne vivant pas au désert,
Quelquefois lui faisait visite.
Il s'ouvre à lui, dépeint ses maux
Et demande conseil. Notre Ermite, homme habile,
Déplore son malheur, se met sur les propos
Des méchants de la cour, des ennuis de la ville ;
Lui fait tous les hommes ingrats.
Il parle de la solitude,
Qu'il vante mais qu'il n'aime pas ;
Lieu de repos, pays d'étude
Où n'approche pas le souci.
Certains petits traits d'éloquence
Semés par-là, semés par-ci,
Et qu'il débite en abondance,
Font qu'on l'écoute avec plaisir.
Ses portraits, vrais au fond, mais que toujours il charge,
Frappent l'esprit de mon Vizir,
Qui se laisse entraîner, se démet de sa charge,
Et s'en va demander aux bois
Le calme, le bonheur, cette volupté pure
Qu'il n'avait pas auprès des Rois,
Et que lui donnait la nature.
Oubliant les grandeurs, satisfait de son sort,
Retiré comme dans un port,
Il laisse aux autres les tempêtes.
Un jour le fisc, hydre aux cent têtes,
Toucha le seuil de sa maison,
Et lui fit procès sans raison ;
Ce fut toujours l'accoutumance.
Le noble campagnard quitte aussitôt les champs,
Au Vizir demande audience ;
Et sous l'habit de l'Eminence
Il reconnaît l'ermite aux avis si prudents.
« Quoi ! c'est vous qui tenez ma place !
Lui dit-il ; vous dont les bons mots
Frondaient si bien les rois, les sots,
La cour et tout ce qui s'y passe,
Et qui me prôniez tant les charmes du repos !
— N'en soyez pas surpris, lui répondit l'apôtre ;
Je serai sincère avec vous :
Je voulais des grandeurs et j'enviais la vôtre.
Vous en étiez lassé. J'entretins vos dégoûts.
Je peignis en beau la retraite,
Et vous montrai la cour en noir.
Louer ce qu'on ne veut avoir,
Et dénigrer ce qu'on souhaite,
Est un moyen qui réussit.
Sors de là'pour que je m'y mette
Est un dicton banal dont j'ai fait mon profit.