D'un ami qui nous sert tout plaît, tout semble bien :
Esprit, vertus, talents, il a tout en partage ;
Mais quand on veut noyer son chien,
On l'accuse d'avoir la rage.
Certain meunier à son baudet
Disait : - Vil animal, ma patience est lasse.
Quel service à présent me rends-tu, s'il te plaît ?
Vingt ans je t'ai gardé : durant ce long espace,
Qu'as-tu gagné par an ? A peine, en vérité,
De quoi nourrir ton maître une semaine entière.
Dieu sait pourtant ce qu'ont coûté
Ton foin, ton orge et ta litière.
Et maintenant, dès qu'il faut travailler,
Tu dors ! C'est l'écorcheur qui va te réveiller. —
- Hélas ! dit le baudet, durant les vingt années
De bon travail à vous données,
J'ai du moins fait ce que j'ai pu :
Le jour, la nuit, à jeun, repu,
J'ai porté vos sacs au village,
À la ville, au marché, partout ;
Vous commandiez, j'étais debout !
Pouvais-je en faire davantage ?
Et si ma vie a trop coûté,
Que ne me laissiez -vous chercher en liberté
Quelques chardons au pâturage !
Je suis vieux maintenant ; mais je mange si peu !...
-Si peu ! dit le meunier, parbleu !
La réponse est assez plaisante.
Penses-tu que je m'en contente ?
Il faudrait à ce paresseux
Que je travaillasse pour deux !
Sa peau, du moins, est encor bonne.
Allons, en avant, je l'ordonne.
- Hélas ! que je suis malheureux !
Mourir ainsi ! Souffrez, pour prix de mes services,
Que je vive encor quelques jours,
Et si les dieux me sont propices,
Mes forces.... L'amusant discours !
Ses forces ! et l'horrible plaie
Que je vois là? - Ce sont les coups
Dont votre valet Jean me paie. -
- Hein ! que dit-il ? L'entendez-vous ?
Il voudrait nous donner le change
Pour répandre en tous lieux son mal.
Mais c'est trop écouter ce perfide animal...
-Qui ? moi, perfide !-En outre, il faut que je me venge
Des sots discours d'un rabâcheur. -
On mena l'âne à l'écorcheur.