Les deux Rats Jean-Louis Aubert (1731 - 1814)

Dans un coin de l'Académie
Deux Rats un jour s'entretenaient tout bas :
(Rats venus du dehors). L'un ne concevait pas
Que la Fable en ce lieu fût si fort applaudie.
L'autre vieux, mais très-vieux, et qui même autrefois
S'était glissé dans cette Compagnie
Quand Lamotte y portait la voix
Dit :L'ami tu n'as pas assez d'expérience :
Il faut avoir mes ans pour résoudre ce cas.
Ces hommes que tu vois là-bas,
Dans les routes de la Science
De leurs pareils guident les pas.
Celle des mœurs, du goût, de l'harmonie
Occupe fur-tout leur loisir.
Il fut entre eux jadis un excellent génie,
Qui chez nous autres fut choisir
Des exemples frappants pour remplir cette tâche.
Contre la vérité souvent l'homme se fâche :
Il la lui fit aimer sous ce déguisement
Appelé Fable, Apologue autrement.
(Le Rat savait cela pour avoir dans sa vie
Rongé bien des recueils de telle Poésie).
Après lui vint un auteur moins exquis ;
Et celui-là, je l'ai connu, mon fils.
Il mit dans l'Apologue une finesse extrême.
Il fut prôné : mais le premier, on l'aime,
On l'arrache à nos dents, et l'on disait ici
Qu'à la Fable il fallait renoncer après lui.
Ecoute maintenant ; c'est un autre langage :
Nivernais vient de lire. Eh bien ! à chaque image
Sous laquelle il a fait briller la vérité,
Tout l'auditoire transporté
A reconnu d'abord les traits du premier sage.

Ne prescrivons jamais à la postérité
Une louange sans partage.

Livre I, fable 18




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