La nation des Rats voulut élire un Prince,
Un Potentat, à qui fussent soumis
Les Rats des plus lointains pays.
Aussitôt de chaque province
Il arrive à Ratapolis
Nombre de Rats blancs, noirs ou gris,
Les uns venant du nouveau monde :
Les autres, habitants de Rome ou de Paris.
Il en vint de gros, de petits ;
Il en vint tant, qu'une lieue à la ronde.
Les chemins en étaient remplis.
Tous aspiraient au Trône. Il fallut faire un choix.
Ceux qui manquaient ou de queue ou d'oreilles
Ou d'autres qualités pareilles,
Furent exclus d'une commune voix.
Ce n'est cependant pas chose si singulière
Qu'un Roi sans oreilles, sans yeux :
Beaucoup ressemblent à ces Dieux
Qu'on faisait de bronze ou de pierre.
Il en est peu comme LOUIS.
De l'éclat du Rat blanc les États éblouis,
Furent prêts, dit-on, de l'élire.
Le Rat musqué se présenta :
Le nez des Sénateurs aussitôt opina
Que c'était celui-là qu'il fallait nommer Sire.
Mais le Rat d'Egypte arrivant,
La Diète en sa faveur suspendit les suffrages.
Par un discours très-éloquent
Il fit valoir ses avantages.
Qu'était-ce que l'odeur qui les séduisait tant,
Qu'était-ce qu'un habit brillant
En comparaison du courage ?
D'un monstre qui du Nil désolait le rivage,
Lui, Rat, avait été vainqueur.
S'ils voulaient dans leur Roi chercher un défenseur,
C'était à lui qu'appartenait l'empire.
Sa harangue plut fort, et chaque Sénateur
Trouva qu'on ne pouvait mieux dire.
Un long Vive le Roi fut partout répété.
A ce Rat si puissant le sceptre est présenté :
Mais tandis qu'il goûtait la gloire,
De sa nouvelle dignité,
Certain Chat qui s'était glissé dans l'auditoire,
Aux yeux des Sénateurs croqua Sa Majesté.

Que conclure de cette Fable
Ce qu'enseigne mon Maître en un sujet semblable,
Qu'à peu de gens convient la Royauté ;
Et que tel se croit redouté,
Qui n'est dans bien des cas rien moins que redoutable.

Livre II, fable 19




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