Un Manant imbécile, et vain par conséquent ;
Car l'un ne va jamais sans l'autre,
Et je crois l'esprit d'un Manant,
En ce point-là, peu différent du nôtre :
Un Rustre se plaignant qu'un destin trop ingrat
Ne l'eût pas placé sur le trône,
Attendu ses talents pour régir un État ;
Blâmant, critiquant tout, et glosant sur le prône ;
Aperçut un Abricotier,
Tortu, mais jeune encore, et qu'un Jardinier sage
S'était contenté d'étayer.
Mon Dieu ! que d'hébétés, dit-il, dans mon village
Ces gens - ci, par exemple, ont bien trouvé cela :
Ils ont long-tems rêvé, je gage,
Pour accoutrer ainsi l'arbrisseau que voilà,
Eh ! parbleu, si c'est leur envie
De redresser cet arbre-là ;
Il penche par ici, qu'ils le courbent par-là :
Sous l'effort de leur bras il faudra bien qu'il plie.
Je n'ai jamais été Jardinier de ma vie
Et contre eux je vais parier,
Qu'en moins de quatre coups, de leur Abricotier
Je corrige à l'instant la pente vicieuse.
Il dit, et commença d'abord par le lier,
Puis s'efforçant de loin de le faire plier,
Il attirait à lui sa tige tortueuse.
Il croyait agir sagement :
Garo ne songeait pas que c'est une folie
De détruire un défaut par un autre penchant.
Pomone avec chagrin voit agir ce Manant.
Sa sottise est bientôt punie ;
L'arbre crie et se rompt, et tombe en gémissant.
Écoute-moi, Pédant, dont la philosophie
Au lieu de les régler, dérange nos cerveaux,
J'ai peint dans cette allégorie
Les heureux fruits de tes rares travaux.
En des défauts plus grands tu changes mes défauts,
Tu veux me redresser et ta main m'estropie.

Livre I, fable 17




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