Le Patriarche Jean-Louis Aubert (1731 - 1814)

Un Vieillard au trépas s'avançait sans efforts ;
Et l'âge chaque jour lui rendait plus aisée
La route qui conduit au royaume des morts :
Un de ses pieds touchait le feuil de l'Élysée.
Ayant vécu sans crime, il mourait sans remords.
Ce Sage comptait ses années
Par d'utiles vertus l'une à l'autre enchaînées.
L'univers avait profité
De son long séjour sur la terre.
Généreux citoyen, sensible époux, bon père,
Ses moments furent tous à la société.
Pour elle il encensa le Dieu de la richesse,
Heureux d'avoir acquis, parce qu'il put donner.
De nœuds sacrés pour elle il voulut s'enchaîner,
Heureux de l'augmenter des fruits de sa tendresse.
Toujours utile au monde, il n'eut point la faiblesse
De le quitter par dégoût, par ennui.
Il ne crut pas devoir ravir à sa patrie
L'exemple des vertus, ses foins, son industrie,
Ni chercher le repos dans la haine d'autrui.
Des ans de ce Vieillard la mesure est complète,
Et le ciel va bientôt le rappeler à lui.
La Mort aux environs promenant son squelette,
Sur son chemin, prend en attendant mieux,
Un Philosophe ingrat envers les Dieux,
Misantrope chagrin, dont la langue indiscrète
Au monde qu'il fuyait voulait rendre odieux
De la société les liens précieux.
On la laifse attaquer cet homme en sa retraite.
Quoiqu'il fût jeune encore, à peine on le regrette ;
A peine on s'aperçoit qu'il a quitté ces lieux.
Enfin, précipitant sa marche,
La Mort, la Mort arrive au lit du Patriarche.
La cruelle d'abord fixa ses yeux jaloux
Sur ce vieil habitant du monde,
Victime tant de fois échappée à ses coups.
Autour de lui régnait une douleur profonde ;
Enfants, amis, valets que ses foins généreux
Traitaient en amis malheureux,
Tous pleuraient, tous semblaient pleurer entre eux un père.
La Mort allait frapper une tête si chère,
Mille cris un inftant fufpendent son courroux ;
Un instant seulement ; et l'affreuse Déesse,
Sous ses doigts décharnés pressant ce faible corps,
Usé, flétri par la vieillesse,
Achève d'en briser les fragiles ressorts.
Quoiqu'on eût dès longtemps dû prévoir ses atteintes,
Malgré le poids des ans, malgré la loi du fort
Qui nous soumet tous à la mort ;
Les cœurs sur ce Vieillard s'ouvrent encore aux plaintes,
La sagesse après soi laisse un long souvenir.
On plaignit ses enfants, on pleura son grand âge :
Il avait de ses jours fait un si bel usage !
Ces hommes, disait-on, ne devroient pas mourir.

On n'en dit point autant de ces prétendus Sages,
Qui d'un faux dehors revêtus,
Se croyant plus parfaits, plus leurs mœurs sont sauvages »
N'ont que le masque des vertus ;
Fardeau du genre humain que leur perte soulage.
L'univers perd beaucoup dans un bon citoyen,
Dont la postérité pourtant le dédommage ;
Ceux-là meurent entiers, l'univers n'y perd rien.

Livre II, fable 1




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