La colère du Lion Jean-Louis Aubert (1731 - 1814)

Les États du Lion touchaient à ceux de l'Ours,
Et quoique ces messieurs et tout peuple semblable,
Soient gens d'un naturel assez peu sociable,
Rien n'avait jusqu'alors divisé les deux cours.
Celle du Seigneur Ours était la moins aimable.
On y rimait par fois, mais en mauvais jargon :
Leur langue, à dire vrai, n'est pas encor polie.
Des Ours rimer ! Et pourquoi non ?
Tant d'Ours ont parmi nous cette folle manie !
Tant d'Anes l'ont encore ! Un couplet de chanson
Fait sur sa majesté Lionne,
Par un Ours désœuvré, caustique outre cela,
Remplit ces deux États des fureurs de Bellone.
Aux oreilles du sire un flatteur en parla.
L'orgueil sur de tels cas est toujours trop crédule.
Plutôt que d'avaler doucement la pilule,
Sa Majesté fit tant de bruit,
Qu'un couplet ignoré fut si de tout le monde.
Bientôt de sa vengeance il tire un autre fruit :
Il livre des combats, Bellone le seconde ;
Et pour une chanson le peuple Ours est détruit.
Quant au peuple Lion, il ne s'en fallut guère
Qu'il ne payât de tout son fang
Les pénibles lauriers de cette heureuse guerre.
Heureuse ! l'on a tort de placer en ce rang
Les cruelles faveurs que nous fait la Victoire ;
On les devrait compter au nombre des malheurs.
Souvent parés de tristes fleurs,
Victimes de l'État, aux autels de la gloire
Nous portons un encens tout trempé de nos pleurs.
Rois, ce font-là vos jeux : mais j'aurais trop à dire.
Voyons comment le redoutable sire
Justifia ses barbares fureurs.
Le Lion favourait cette joie effrénée
Dont Mars victorieux enivre un cœur guerrier
Lorsqu'en un combat singulier,
Un des siens termina sa triste destinée.
Bien qu'un duel fût sans pardon,
L'offensé cependant méritait quelque grâce :
Son rival à l'insulte avait joint la menace ;
Il avait même, disait-on,
Levé sur lui la griffe, et frôlé son menton.
L'offense était impardonnable ;
Il eût autant valu recevoir un soufflet :
Mais le Roi sans pitié fit pendre le coupable :
Alors on se souvint quel bruit il avait fait
Pour un injurieux couplet.

Livre II, fable 6




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