Les deux Chattes et leurs Petits Jean-Louis Aubert (1731 - 1814)

Un jour dans un grenier je vis deux Chattes mères ;
Mères comme, entre nous, certains Princes font pères
Des peuples qui leur font soumis ;
Prêtes à dévorer au besoin leurs Petits,
Et les aimant en Chattes, c'est tout dire.
Entre elles il survint des débats pour l'empire.
Ce coin-ci m'appartient. Point du tout, c'est à moi.
A vous ? A moi-même. Et pourquoi ?
Pourquoi ? ce n'est pas là l'affaire ;
Que la guerre en décide. Eh bien ! ayons la guerre.
C'était jadis, en langage de Chat,
Contre son ennemi soi-même se défendre.
Mais chez ce peuple scélérat
Nos mœurs n'ont pas de peine à prendre.
C'est par le bras d'autrui que chez nous l'on se bat :
Il serait beau qu'un Potentat,
En fait de coups, fût recevoir et rendre !
De leurs petits formant chacune un bataillon,
Nos deux Chattes leur font disputer la victoire.
Ils étaient déjà grands, partant méchants, dit-on.
Quatre Chats des deux parts, animés par la gloire,
Sans savoir pourquoi, ni comment,
Se vont tuer tout bonnement ;
Et les mères font-là qui les regardent faire.
L'un d'eux qui n'avait pas l'âme encor bien guerrière ;
Prend la fuite en prudent minet ;
Et sa mère l'étrangle net.
Puisqu'il nous faut mourir d'une ou d'autre manière,
Faisons de notre mieux, disent les autres Chats.
L'action engagée, un, deux, trois font à bas :
Trois de chaque côté ; c'était l'armée entière
De la mère du Déserteur.
Grace peut-être à sa rigueur
Un dernier fils de l'autre eut le destin d'Horace.
Mais la pate cassée et les deux yeux crevés,
Il paya cher l'honneur d'avoir gardé la place.
Or à présent vous concevez
Quel fruit il en revint aux deux barbares mères ;
D'un côté les Petits et le grenier perdus ;
Et de l'autre un enfant perclus,
Reste de quatre. Autant en font nos guerres.

Livre II, fable 3




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