Le Moulin Léon Riffard (1829 - ?)

Quand le père Jonas en entrant dans la classe,
Disait : « Je suis content des devoirs ce matin;
Pour vous récompenser, que faut-il que l'on fasse ? »
Nous répondions en chœur : Menez-nous au moulin.
Le moulin ! coin charmant, dont l'image rustique,
Plus d'une fois depuis a tenté mon pinceau :
Plein de gaîté le jour, le soir, mélancolique ;
Silencieux, malgré le murmure de l'eau.
Un petit bout de pré descend en-pente douce,
Entouré de noyers, de frênes et d'ormeaux.
Les feux du jour, brisés par leurs mille rameaux,
Y jettent des reflets qui tremblent sur la mousse.
Bifurqué dans son cours par un petit chenal,
Le ruisseau se partage : Une faible partie
Continue à couler sous la rive fleurie ;
Des troncs d'arbre, creusés en forme de canal,
Et portés sur des pieux à travers la prairie,
Prennent et versent l'autre en un petit bassin
Taillé dans le rocher en amont du moulin.

O Pont-du-Gard, ta noble architecture
Proclame la grandeur de l'Empire romain !
Mais cet humble aqueduc, si simple en sa structure,
Raconte les débuts du savair-faire humain,
Et, dans son cadre de verdure,
S'adapte mieux à la nature.

Cependant le canal toujours sur quelques points
Laissait fuir sa liqueur qui suintait goutte à goutte.
Et quel amusement d'en élargir les joints,
Par où l'eau se perdait en route !

Un jour d'Avril - il m'en souvient, -
Le maître, assis sur le barrage,
Expliquait à son entourage,
L'hymen des fleurs, comment la graine vient,
Comment la plante se propage.
Groupés autour de lui, nous qu'on nommait les forts,
Nous écoutions bouche béante ;
Les autres s'ébattaient en glissant sur la pente,
Se laissant rouler sans efforts
Dans l'herbe, et puis riant, poussant des cris de joie.
-? Maître, il faudra qu'on les renvoie.
On n'entend rien !
C'est bête de crier pour rien.
Pourquoi jouer ainsi quand ils pourraient apprendre ?
- Pourquoi ! nous dit Jonas. c'est qu'il en est de nous
Comme des eaux ; vous allez me comprendre ;
Et sans chercher bien loin : l'exemple est devant vous.
Voyez ce ru tombé des collines prochaines :
Il est arrivé jusqu'ici,
Au hasard de la pente, aimable et sans souci,
Caressant les fleurs riveraines ;
Image de nos ans d'abord exempts de peines !
Mais l'obstacle a surgi : C'est le moment fatal.
Le voilà qui se brise et reflue. Il tournoie
Un instant pour chercher sa voie :
Une part bravement enfile le chenal.
L'autre part, à travers l'écluse,
S'échappe sans quitter son lit.
A flâner dans la lande on la voit qui s'amuse,
Et va se perdre sans profit.
Le ruisseau devient marécage,
On ne saurait finir plus mal.
Bien différent est le partage
De l'eau qu'emporte le canal.
Gênée en son cours, refoulée
Dans le bassin, accumulée,
Elle va centupler sa force... Bien, assez;
L'éclusée est complète. A présent, regardez. -
Au même instant l'eau s'élance et ruisselle.
Et la roue à grand bruit commence à se mouvoir,
Blanchissante d'écume au fond de son trou noir..
Le moulin tremble : on dirait qu'il chancelle ;
La meule lourdement pivote sur le grain ;
Dans un coin jaillit la farine ;
Et tout le branlebas de la lourde machine
Est l'affaire d'un tour de main.
Il a sufsi d'ouvrir la bonde !
- Eh bien ! reprit Jonas, poursuivant l'entretien,
Que la leçon vous soit féconde :
Un peu de gêne fait grand bien !
Pour être fort dans ce bas monde,
Pour réussir ;
Il faut faire comme cette onde,
Il faut savair se contenir. -

En mettant votre nom au haut de cette page,
Docteur, j'ai voulu simplement
Accentuer plus fortement
Le sens de ce petit ouvrage.
Qui ne voit le rapprochement ?
Où rencontrer une existence
Conduite plus utilement,
Plus sûrement, plus noblement,
Par les canaux de la science,
Jusqu'aux pieds de ce monument
Que nos aïeux nommaient le temple de Mémoire ?
Au sommet du perron, debout, se tient l'Histoire.
Plus haut, dans l'hémicycle un siège vous est dû.
C'est entendu.
Esculape lui-même en a marqué la place
A côté de Trousseau, dont vous gardez la trace.
Et pourtant, quel qu'en soit l'honneur,
Laissez-le vacant, cher Docteur,
Le plus que vous pourrez, si vous voulez m'en croire
Vivez encor pour nous, c'est bien plus méritoire.
Du repos qui suit la victoire
Goûtez l'ineffable douceur,
Et ne vous pressez pas d'entrer dans votre gloire.

Livre IV, Fable 8




Commentaires