Le Pêcheur et le Diadème Etienne Catalan (1792 - 1868)

Un jour, certain Pêcheur, tirant du sein de l'onde
Ses filets , seuls trésors qu'il possédât au monde,
Mais qui lui suffisaient, les trouva fort pesants :
Une cassette était dedans ;
Il l'entr'ouvre... O surprise ! un riche Diadème
S'offre à ses yeux ; il y porte la main,
Et ne peut croire à son bonheur extrême :
Veillé-je? pensait-il , et quelque songe vain.
Ne m'abuse- t-il point ? Non, non , c'est bien moi-même
Qui touche ce trésor ; je le vois , je le sens ;
Je suis riche à jamais ; je suis Roi... Roi ! que dis- je ?
Régner ! ... ah ! ce mot seul me donne le vertige ! ...
Régner ! ... par Jupiter ! ai-je perdu le sens ?...
D'un Roi voilà bien la couronne,
La prise est belle ; pour le trône,
Sais-je comme il y fait ? Non , point de royauté.
Mais, puisque la Fortune, enfin , m'a visité,
Choyons bien cette chère hôtesse,
Et qu'une honnête vanité
Règle du moins l'emploi de ma richesse ;
Hier, modeste pêcheur, aujourd'hui, bon bourgeois,
Ayons valets, maisons de ville et de campagne,
Puis, de fille au gentil minois
Faisons au plus tôt ma compagne :
C'en est assez pour vivre en pays de Cocagne...
Oui-da, tous valets sont fripons,
Et bien des femmes sont coquettes ;
Et si des envieux les lâches trahisons
Ou dévastent nos champs, ou brûlent nos maisons !
Si des amis ingrats... Dans quels maux tu te jettes,
Pauvre Pêcheur ! tu connais tes filets ;
Mais, s'il te faut apprendre à vivre avec les hommes :
Déception ! ... Voilà, dans le siècle où nous sommes, -
Siècle de beaux dehors et de méchants effets ,
Déception, voilà le Monde !... Qui t'arrête ?
Ah ! pour fuir le péril, n'attends pas les regrets :
Insensé, rends aux flots ta perfide conquête ! ...

Ce qui fut dit fut fait : il vécut sans chagrin,
Exempt de soins, à l'abri de l'envie
Comme naguère. Et, quel brillant destin
Valut jamais cette philosophie,
Qui, dédaignant les faux biens d'ici- bas,
Libre des noirs soucis que l'opulence entraîne,
Jouit sans troubles, sans débats,
Et du pain savoureux, et de la paix certaine,
Qu'un noble et doux labeur chaque jour lui ramène?
On trouvera, pourtant, qu'il poussait un peu loin
La crainte d'entrer en ménage ;
Mais, je me ferais fort d'assembler, au besoin,
Vingt arbitres experts en fait de mariage,
Qui le tiendraient, sur maint bon témoignage,
Dix au plus pour un fou, dix au moins pour un sage.

Livre II, fable 4




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