La Source, le Héron, le Martin-Pêcheur et l'Aigle Emile Erckmann (1822 - 1899)

Sur la mousse, l'onde pure
Ruisselle au fond des ravins ;
A l'ombre des noirs sapins,
Elle frissonne et murmure.
Puis, dans son cristal mouvant,
Elle dessine en rêvant
Leur flottante chevelure.
Bientôt grossit le courant,
La gorge résonne et fume,
Elle se remplit d'écume
Au passage du torrent.
Dans le lit de la rivière
Un héron fait son repas,
il se promène à grands pas,
En fouillant de sa rapière
Buissons d'épine et de houx,
Rochers moussus et cailloux,
Pour remplir sa carnassière.
Un joli martin-pêcheur
Le contemple de la rive,
Sous un vieux saule pleureur,
Et lui lance son : « Qui vive ?
— De ces lieux abandonnés,
Qui vient troubler le mystère ?
Dit, en tournant son grand nez,
Notre héron solitaire.
Est-ce toi, petit oiseau,
Être chétif et vorace,
Qui, du haut de ton roseau,
Me persifle quand je passe ?
— Regardez, dit l'oiseau bleu,
Un point noir dans ce nuage.
D'instant en instant, morbleu,
il s'approche davantage.
C'est un aigle qui nous voit,
Son grand cercle se resserre ;
Sur nous il descend tout droit.
Monseigneur, gare à la serre. »
A peine a-t-il dit ces mots
D'une petite voix sèche,
Que le héron, à propos,
S'élance la tête en flèche.
L'aigle le serre de près,
ils se perdent dans les nues,
Bien au delà des marais,
Sur des rives inconnues.
L'onde grossit en marchant
Et gronde dans le silence.
La cascade, de son chant,
Remplit la vallée immense,
Et notre joli martin,
Sur la pelouse irisée,
Va, comme chaque matin,
Se baigner dans la rosée.
Sous les saules vermoulus,
il poursuit, à tire-d'ailes,
Les brillantes demoiselles
Et les gros bourdons velus.
Sur la mousse, l'onde pure
Ruisselle au fond des ravins ;
A l'ombre des noirs sapins
Elle frissonne et murmure ;
Puis, dans son cristal mouvant,
Elle dessine en rêvant
Leur flottante chevelure.

Livre II, fable 5




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