Un vieux caniche se plaignait
De n'avoir pas de chance.
L'aveugle qu'il accompagnait
Ne pouvant lui donner qu'une maigre pitance,
il enviait le sort de ces jolis bichons
Que les dames, l'hiver, portent dans leurs manchons,
Les habillant, l'été, d'une belle capote,
Tandis qu'il s'en allait tristement dans la crotte.
« Où donc est la justice ? Où donc est l'équité.
Murmurait-il alors d'un accent irrité.
Par la pluie, par le vent, je me promène en ville,
L'oreille basse et la ficelle au cou,
De temps en temps un pauvre sou,
En grelottant, tombe dans la sébile :
Allez donc vivre avec cela !
Et tous ces petits messieurs-là
S'abandonnent à la paresse,
Se dorlotent sur un sofa.
On les cajole, on les caresse,
On vous les nourrit de croquets,
Ces abominables roquets. »
Ainsi s'indignait le caniche,
Quand, en passant, un carlin l'entendit,
Et d'un ton protecteur, lui dit :
« L'ami, si tu veux être riche,
Tâche, d'abord, de faire un peu le beau,
Décrotte-toi dans un ruisseau,
Et lâche-moi ce triste maître
Qui te tient dans l'abjection.
Cherche une autre condition,
Et tu réussiras, peut-être.
— Vous me prenez donc pour un traître ?
Répondit le caniche en lui montrant les dents,
Vos conseils sont fort impudents !
Abandonner l'aveugle au milieu de la rue,
Sans guide, sans ami ; dans l'immense cohue,
Le laisser errer au hasard !
Vous n'êtes pas un chien, vous êtes un renard. »
Tout à coup il s'emporte, et le carlin recule ;
S'élançant dans un vestibule,
il grimpe vite l'escalier,
Aboie en haut sur le palier,
Protégé par la valetaille.
Moustache le regarde en murmurant : « Canaille ! »