Grégoire aimait ses fleurs presque autant que sa mère ;
C'était son passe-temps de tous les jours : aussi
Rien n'était plus joli, plus frais que son parterre.
Rose, anémone, œillet, lis, jacinthe, souci,
Tout allait à merveille, et c'est facile à croire :
Dans les chaleurs, jamais Grégoire
N'oubliait d'arroser ; l'eau ne lui manquait pas :
Par tous les temps, à deux cents pas,
Distillait au pied d'une roche
Un menu filet d'eau goutte à goutte : or, tout proche,
En jardinier prudent, Grégoire avait construit
Un réservoir en terre glaise,
Où les gouttes tout à leur aise,
L'une après l'autre, à petit bruit,
Tombant pendant toute la nuit
Et les trois quarts du jour, s'accumulaient de sorte
Que la quantité d'eau s'y trouvait assez forte,
Au soir, pour la besogne. Alors il fallait voir
L'aimable enfant, durant une heure et davantage,
Sans cesse aller, venir avec son arrosoir,
Du réservoir aux fleurs, des fleurs au réservoir.
Vers la mi-juillet, comme, un soir,
Il venait d'achever son septième voyage,
Assis auprès du roc, de fatigue transi :
« Qu'est-ce donc que j'avais en tête,
Se dit-il tout-à-coup ; parbleu, je suis bien bête
De me gêner ainsi,
Alors que, m'épargnant mainte pénible course,
Je puis en une fois faire arriver d'ici
Jusqu'au jardin l'eau de la source.
Car il faut être peu malin
Pour voir que, de la roche à mes fleurs, le terrain
Penche assez fort : eh bien, au retour de l'école,
Pas plus tard que demain je creuse une rigole ;
Puis je lâche mon eau, qui d'elle-même y court.
C'est bien plus facile et plus court. »
Là-dessus le petit bonhomme,
De sa précieuse eau sagement économe,
Tant que le réservoir est vide, a résolu
De l'ajuster d'abord au plan qu'il a conçu,
Et, sans plus de remise, une tuile cassée
En manière d'écluse au devant est fixée.
Cela fait, et le jour étant à son déclin,
« Assez pour aujourd'hui, dit-il. » Le lendemain,
La rigole a son tour : notre fleuriste à peine
De classe est revenu que le voilà qui mène
Et pic et pelle si bon train,
Qu'avant midi déjà c'est besogne achevée.
Près du parterre il creuse un trou, pour en finir,
Où le savant conduit vient tout juste aboutir.
Enfin, quand l'heure est arrivée,
Vers le rocher l'infatigable enfant,
Joyeux et tout fier de sa ruse,
S'avance d'un pas triomphant
Et lâche en riant son écluse.
Oh ! quel favori de la muse
Du bon petit peindra la stupeur, le chagrin,
Quand soudain
Il voit l'onde comme une folle
Sauter les bords de sa rigole,
Puis trotter, galoper de ci, de là, partout,
Au gré du sol âpre et déclive,
S'usant, se gaspillant ! Pas d'herbe si chétive,
Pas de trou si caché qui n'en boive un bon coup.
Vu la chaleur, tout sur sa route
A grand'soif, et, comme on s'en doute,
Tout s'en donne tant et si bien
Qu'aux pauvres plantes de Grégoire
Il n'en reste à la fin plus rien
Ou que bien peu de chose à boire.
Cette fable me semble à peu près ton histoire,
Fier philanthrope de nos jours,
Qui, quand tu veux du pauvre alléger la détresse,
De peur de te gêner charges de ton secours
Bureaux, commissions, agents de toute espèce.
A passer par tant de détours,
Ta libéralité, comme l'eau de Grégoire,
Inévitablement doit s'user en chemin :
Le meilleur, si tu veux m'en croire,
C'est d'aller en personne à la mansarde noire
Et de l'y porter de ta main.