Qui ne connaît le Père La Fleurette,
Son air malin, ses lazzi, ses bons mots ?
Vieux et gai Villageois, chantant avec Annette
Buvant avec Lubin, dansant avec Perrette,
Et, bien qu'en traits d'esprit payant tous ses écots,
Désiré, recherché de partout à la ronde,
Enfin, de ces vivants, dont les joyeux propos
Font les trois quarts et plus des plaisirs de ce monde ;
Mais, je vais vous servir, si vous le trouvez bon,
Pour vous le peindre au mieux, un plat de sa façon.
Or, vous saurez qu'un jour, au bord d'une onde pure,
Sous un épais couvert, il trouva d'aventure
Le Seigneur du village, et sa meute, et ses gens,
Qui, s'étant mis, dès l'aube, à battre bois et champs,
Venaient de rapporter, de cette noble course,
Peu de gibier, dit-on, mais grand' soif et grand' faim,
De plaisirs non moins vrais douce et féconde source.
Moment délicieux bonne chère et bon vin,
Rien ne manquait à ce repas champêtre,
Rien, grâce à Monseigneur, que la gaieté peut-être ;
Quand La Fleurette apparaissant, soudain,
A son aspect, chacun se prit à rire,
.Et jusqu'à Monseigneur, qui, riant, cette fois,
Tout le premier : As-tu quelque chose à nous dire ?
Demande-t-il à notre Villageois,
En lui vidant sous la moustache
Un rouge bord, vrai nectar... Le narquois
De se gratter le front, de se mordre les doigts,
Puis, enfin, de répondre : Oh ! ma foi, je ne sache
Mit bas cinq veaux.
Rien de nouveau, sinon que notre vache,
Sauf toutefois respect, Monseigneur, l'autre mois,
Cinq veaux ! sur ma parole,
Le fait est surprenant... Cinq veaux ! si je te croi,
Et qui donc nourrira le cinquième, mon drôle ?
Car, si ta vache, réponds- moi,
N'a, pour nous expliquer un pareil phénomène,
Cinq tétins, de tes veaux que fera le cinquième ? —
Le cinquième ? il est vrai qu'il faudra, Monseigneur,
Que, disant comme moi tout bas ses patenôtres,
Il se contente, hélas ! de voir faire les autres.
Le bon homme a raison, versez-lui du meilleur ;
Je veux qu'il ait du mien... Allons, ferme, mon brave !
On l'a sorti pour toi, ce matin, de ma cave :
Comment le trouvons-nous ? Excusez mon erreur ;
Mais, j'avais si grand' soif, que, sans y prendre garde,
Je l'ai bu tout d'un trait. Ce mot-là vaut de l'or ;
Cette fois, cependant, je veux qu'on y regarde :
La France, holà ! versez, versez encor ! …..
Hé bien ! est-il de ton goût ? que t'en semble ?—
Il est bon ; oui, très bon... Mais, par ma foi, je tremble
De honte et de regret, quand, après la bonté
Que vient pour moi d'avair Sa Seigneurie,
Sur deux verres de vin, deux, si j'ai bien compté,
Je vois que sottement j'oublie
D'en boire un seul à sa santé ! -
Va, va, je te pardonne, ami, c'est à merveille ;
Mais, pour terminer nos débats,
Bois encore cette bouteille,
Et me tiens quitte après ; car, au train dont tu vas,
Ma cave n'y suffirait pas.
Ce fait, Ami Lecteur, n'est rien moins qu'une fable,
Et, d'un témoin irrécusable,
Tel je le tiens, tel je te l'ai conté ;
Mais, qu'il te semble ou faux ou véritable,
J'en puis tirer, je crois, cette moralité :
Qu'ici-bas l'A-propos marche avant la Richesse ;
Que mieux que le Savair et mieux que la Sagesse,
Objet de prompt, de facile débit,
Il se nourrit, souvent, et se loge à crédit ;
Qu'à le bien accueillir, enfin, chacun s'empresse,
Et que tout vient à point à qui, pauvre d'argent,
Peut du moins tout payer en bon esprit comptant.