Déjà du doux Printemps brillent les plus beaux jours ;
Le Champ reprend ses fleurs, et l'Oiseau ses amours ;
Et les jeunes essaims d'Abeilles diligentes
Échappent en rumeur aux ruches bourdonnantes.
Mais, pour les arrêter, l'adroit Cultivateur
Fait entendre des sons dont la feinte douceur
Enchaîne, en les flattant, l'essor qui les emporte.
Elles ont rassemblé leur bruyante cohorte :
Sous de nouvelles lois fléchit l'Essaim nouveau,
Et déjà pend en grappe aux branches d'un Ormeau.
Alors il leur présente une ruche formée
D'un élégant osier, qui, de Thym parfumée,
Promettant à l'Abeille une riche maison,
La rappelle ; et l'Essaim s'enferme en sa prison.
L'Été vient ; du Lion la dévorante haleine
Dessèche les forêts, les coteaux et la plaine.
Plus d'ondes aux ruisseaux, aux jardins plus de fleurs :
La Ruche va périr ; mais aux feux destructeurs
Le Villageois oppose un soin qui toujours veille.
Rien ne manque aux besoins, aux plaisirs de l'Abeille :
L'eau coule en un bassin ; le fécond arrosoir
Rend au matin des fleurs par ses travaux du soir :
La Ruche en plein moissonne et vit dans l'abondance.
Un besoin des bons cœurs, c'est la reconnaissance.
Chaque fois que l'Abeille, en jouissant, rêvait
Aux souffrances qu'ailleurs son espèce éprouvait,
Heureuse, elle vantait et bénissait son maître.
O généreux Mortel, auteur de mon bien-être !
Je te dois cette eau vive, et l'éclat printanier,
Et le parfum des fleurs, et leur suc nourricier,
Mes sœurs, celui qui prend tant de soins, tant de peines,
Qui pour nous de l'Été rend les menaces vaines,
Dont l'amour nous fait vivre, et des bienfaits du Ciel
Nous ouvre les trésors, ce n'est point un mortel :
Reconnaissez- le aux dons de ses mains protectrices ;
C'est un Dieu tout l'Essaim lui doit des sacrifices.
De l'Insecte innocent tels étaient les discours.
Pas un seul d'intérêt n'accuse un tel secours,
Ne soupçonne qu'il cache une amorce perfide,
Ni que la Bienfaisance, enfin, puisse être avide.
Mais à peine l'Hiver, de frimas hérissé,
Vient couvrir ces vallons de son manteau glacé,
Trop tard se montre enfin la vérité terrible.
Ce Villageois si bon, ce Maître si sensible,
Démasquant tout à coup son projet inhumain,
Vers la Ruche s'avance, une torche à la main :
D'Insectes suffoqués par l'épaisse fumée,
En peu de temps, au loin, la terre est parsemée.
Le Barbare triomphe, et, sans crainte du Ciel,
À la Ruche il enlève et la cire et le miel ;
Et portant sous son toit ces dépouilles opimes,
Foule, en riant, les corps de ses tristes victimes.
À l'Ingrat si j'ai fait la guerre une autre fois,
Contre un faux Bienfaiteur j'élève ici la voix.
Quel crime qu'un bienfait quand il couvre une chaîne !
Quel, quand il trompe un cœur qu'à sa perte il entraîne !
Je mettrais, s'il fallait entr'eux régler le pas,
Les traîtres Bienfaiteurs au-dessus des Ingrats
Chacun d'eux est en somme un monstre abominable.
Contr'eux, je le sens bien, c'est trop peu qu'une Fable ;
Et je ne sais pourquoi, dans ses décrets vengeurs,
La Loi ne les a pas traités en malfaiteurs.