Le Villageois et les Abeilles Louis-François Jauffret (1770 - 1850)

Sur le déclin de la saison nouvelle,
Par un temps doux, propice à son dessein,
Un généreux et bourdonnant essaim
Abandonna la ruche maternelle.
Il demandait un asile au destin,
Quand, tout à coup, un tintement lointain
Remplit les airs. L'errante colonie,
Pour écouter la rustique harmonie,
Suspend l'essor de son vol incertain,
Et sur un arbre hésite, réunie.
À la faveur de l'airain résonnant,
Un Villageois, empressé, plein de zèle,
S'en vint offrir au peuple bourdonnant
Devinez quoi ?., des ruches la plus belle.
Faite en osier, mais construite avec art,
Elle flattait, séduisait le regard,
En même temps que de thym parfumée,
Elle exhalait une odeur embaumée.
C'est le destin qui comble nos-souhaits,
Dit aussitôt la peuplade charmée ;
Et la voilà dans son nouveau palais.
L'été survient. Ses brûlantes haleines
Fanent les fleurs, dessèchent les fontaines ;
Mais l'homme alors multipliant ses soins,
Du jeune essaim prévient tous les besoins.
Près de la ruche, à grands frais amenée,
L'eau d'un ruisseau gazouille nuit et jour ;
Et sur le sol qui s'étend à l'entour,
Le romarin fleurit toute l'année. '
Grâce à ces soins, sitôt que dans le ciel
La nuit fait place à l'aurore vermeille,
On aperçoit voltiger chaque Abeille,
Au sein des fleurs allant pomper le miel,
Et poursuivant ses travaux de la veille.
Cent fois le jour, les pauvrettes, en chœur,
Rendent hommage a leur cher bienfaiteur.
Chacune dit : sa naissance est divine ;
Dans ce bocage il mérite un autel.
Oui, sa bonté trahit son origine ;
Et c'est un Dieu sous les traits d'un mortel.
Tout alla bien jusqu'à ce mois funeste
Où l'hiver règne, où, de l'urne céleste,
On voit sur nous s'épancher les frimas.
Armé, la nuit, d'une torche enflammée,
Notre homme, alors, vers la ruche alarmée,
En ravisseur précipite ses pas :
L'essaim entier victime du trépas,
Meurt étouffé par des flots de fumée.
Le villageois est-il, au moins, touché
De voir le sol de cadavres jonché ?
Non, il jouit, et ne voit, le barbare,
Que la valeur du miel dont il s'empare.

Aux malheureux tel offre son appui,
Dont les bienfaits sont souvent une embûche.
Combien de gens, et surtout aujourd'hui,
Soignent l'essaim pour envahir la ruche !

Livre III, Fable 4




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