Fatigué d'un trop long voyage,
Et non moins las encor d'avoir lancé des traits,
L'Amour s'arrête en un bocage,
Il veut y respirer le frais.
Là coulait un ruisseau d'une onde vive et pure.
On ne découvrait à l'entour
Que berceaux et gazons, myrtes, fleurs, et verdure.
Quel plus riant asile eût pu choisir l'Amour ?
Il met bas le carquois qui couvre son épaule,
Quitte son arc pareillement,
Attache l'un et l'autre à la branche d'un saule,
Puis sur un lit de mousse il s'étend mollement.
Oh ! comme en sa mémoire il repasse avec joie
Tous les traits qu'a lancés sa main,
Tant de feux allumés soudain,
Mille cœurs, en un mot, dont il a fait sa proie !
Cependant par degrés le mignon de Cypris,
Au murmure de l'eau qui flatte son oreille
En serpentant sous les berceaux fleuris,
Au doux chatouillement d'une amoureuse Abeille
Qui, dans son vol audacieux,
Respire les parfums de sa bouche vermeille,
Cupidon a fermé les yeux ;
Et, dans cet abandon, le voilà qui sommeille
Entre les bras d'un songe gracieux :
Puisse-t-il du repos goûter longtemps les charmes !
Quel miracle au réveil s'apprête à l'étonner !
Il est si loin de soupçonner
Que le saule où sa main a suspendu ses armes
Loge un essaim léger de ces filles du ciel
Qui pétrissent la cire et composent le miel !
Ces ouvrières diligentes,
Après avoir sucé jasmins, roses, œillets,
Et mille autres fleurs odorantes,
Venaient de ce butin enrichir leur palais.
Pour sa cellule accoutumée
Chacune a pris le carquois d'or,
Et dans cet arsenal leur troupe renfermée
Élabore avec art son liquide trésor.
La dépouille d'Hybla rend le travail facile ;
On s'anime de toutes parts ;
Du carquois, de l'arc et des dards,
Bientôt le plus doux miel distille.
Quand il a de Morphée épuisé les pavots,
L'Amour s'éveille, et songe à regagner Paphos.
Il avance une main légère
Pour reprendre son arc avec ses javelots ;
Mais au seul mouvement, la colonie entière,
Hôtesse du brillant carquois,
S'agite, et dans les airs se disperse à-la-fois.
L'Amour reste interdit ; de sa main défaillante
S'échappe l'armure éclatante ;
Son cœur palpite, inquiet et troublé :
Tant pour une ombre, un rien, le cœur d'Amour tressaille.
Comment, se disait-il, cet escadron ailé
A-t-il pris mon carquois pour son champ de bataille ?
Est-ce ruse ou prodige ? est- ce erreur ou hasard ?
Une Abeille à ce mot l'effleure de son dard.
La blessure était peu de chose,
Mais le fils délicat de la tendre Vénus
Sa
Marche toujours les membres nus :
peau ressemble au lis, et ses doigts à la rose.
Le trait l'a piqué jusqu'au cœur ;
Trois fois du pied il a frappé la terre,
Indigné qu'un insecte, en lui faisant la guerre,
Ait triomphé de son pouvair vainqueur.
De ce dieu, quant à moi, je blâme les murmures :
Il était juste que l'Amour,
Lui qui porte en nos cœurs de si vives blessures,
En ressentît une à son tour.
Déjà, loin de ces lieux, le bourdonnant nuage
Avait pris un rapide essor.
L'Amour, qui n'y voit pas, l'Amour en doute encor ;
Mais bientôt renaît son courage :
Au silence profond qui règne autour de lui,
Il devine aisément que tout l'essaim a fui.
Relevant donc ses traits épars sur la verdure,
Il les remet dans le carquois.
Le miel au même instant découle de ses doigts ;
Il les porte à sa bouche : O manne douce et pure ! ——
Mets divin ! s'écria l'Amour.
Combien je vous rends grâce, ô célestes Abeilles !
Puissé-je, en m'éveillant, obtenir chaque jour
Le même essai de vos merveilles !
Avouez-le, pourtant : moi, qui suis Cupidon,
Un dieu si sensible, si tendre,
J'ai payé cher un pareil don.
N'importe ; à ce prix-là, je puis tout entreprendre :
Quel mortel ou quel dieu de mes traits acérés
Pourra désormais se défendre,
Quand de miel ils sont pénétrés ?
Par hasard Amyntas errait dans ce bocage.
Amant infortuné de l'ingrate Doris,
Il venait en ces lieux oublier ses mépris.
Du fils de Cythérée il entend le langage :
-Loin de moi, lui dit-il, méchant ! fuis pourjamais !
Cruel tyran des cœurs, ta flamme nous consume ;
Tu troubles la raison ; avec toi plus de paix ;
Le peu de miel enfin que distillent tes traits
Est mêlé de trop d'amertume.
Note de l'auteur : Cette fable est une imitation libre de l'élégie latine du P. Sautel, laquelle a pour titre, Examen apum in amoris pharetrâ mellificans. Que n'ai-je pu rendre les grâces piquantes de la pièce originale ! Tous les amateurs de la poésie latine conviennent que le P. Sautel a eu l'art de répandre un intérêt particulier sur les petits sujets, par la manière ingénieuse et délicate dont il a su les décrire.