Le Frelon et les Abeilles Nicolas Grozelier (1692 - 1778)

Certain Frelon de talents peu doté,
Et qui pourtant, s'en faisait fort accroire,
Auprès d'un jeune essaim s'attribuait la gloire
De travailler au mieux à l'œuvre si vanté
Que construit avec art l'Abeille en sa cité
Et de former un suc, dont-la douceur extrême
L'emportait sur le miel et d'Hymette et d'Hibla,
A l'entendre, le nectar même
N'approchait pas de ce mets là.
De plus, ajoutait-il, je suis infatigable ;
J'en fais dans un matin plus qu'un autre en six jours,
Et les plus longs travaux â mon gré sont trop courts.
Recevez-moi dans votre troupe aimable
Jeune essaim vous verrez de quel prix mon secours
Sera pour vous aider. A ce discours frivole,
Le petit peuple ailé le croit sur sa parole ;
On l'admet dans la ruche. En longs bourdonnements
De son rare mérite on vante l'excellence.
Une Abeille pourtant de grande expérience
Et qui se connaissait en gens,
Leur dit : Mes sœurs, quelle assurance
Avez-vous, dites-moi, de ses rares talents ?
Vous seriez rire à vos dépens.
Vit-on jamais Frelons égaler les Abeilles ;,
Composer comme nous une douce liqueur-?
Ah ! vous leur faites trop d'honneur.-
Oui, quoique celui-ci vous promette merveilles,
Il ne sait pas, je gage, un terme du métier ;
Quel est l'ordre qui se pratique
Dans notre ingénieuse et sage République,
Et si de nos maisons le plan est régulier.
Qu'importe, répondit une plus politique :
A l'œuvre on connaît l'ouvrier.
Qu'en coute-t-il d'éprouver son ouvrage ?
L'avis fut applaudi tout d'un commun accord.
L'autre se tut et fit en sage personnage,
De ne point résister au parti le plus fort.
Le Frelon cependant, fier de cet avantage,
Lorsqu'en la ruche on reposait encor,
Se levé, sort et va visiter son trésor
C'était dans le creux d'un vieux chêne,
De cet endroit assez voisin
Que d'Abeilles jadis habitait un essaim.
C'est de là, dis-je, que sans peine,
Soixante fois dans un matin,
Le diligent Frelon voiturait son butin.
Tous les jours c'était même aubaine.
Point n'y manquait : ce nombre était certain.
Cette trop grande diligence
Fit cependant entrer en défiance.
Avait-on tort ? On se défie à moins.
D'ailleurs, on le voyait tous les jours sans campagne
Se mettre au matin en campagne,.
It très soigneusement éviter les témoins.
On en voulut savoir la cause.
Sur ce fait et sur autre chose
On lui sait mainte question,
A quoi point de solution.
Alors notre Abeille critique
Dit à l'Abeille politique
Ma sœur, je vous l'ai déjà dit,.
Ce Frelon n'est qu'un plagiaire ;
Mais tout l'essaim vous applaudit
Lorsque Vous disiez, le contraire.
On verra de nous deux laquelle a mieux prédit.
Vous devez vous tenir pour sûre
Que tant que durera le miel du magasin,
Où le Frelon trouve sa fourniture,
Vous le versez toujours aller du même train
Mais, foi d'Abeille, je vous jure
Que s'il finit un beau matin
Votre ouvrier fera sotte figure.
Cette prédiction ne fut pas faite en vain.-
Tandis que l'on voyait encore
Briller partout les dons de Flore,
Et l'Abeille avec plus d'ardeur,
De leur suc précieux et des pleurs de l'aurore
Composer sa douce liqueur,
Le magasin tarit et sa source épuisée
Laissa notre Frelon à sec.
Vous pouvez bien juger s'il devint la risée
De l'essaim, moins crédule après un tel échec.
Dans un moment on vit tourner la chance,
Et tout le los en mépris se changer.
Aucun ne fut chez ce peuple léger,
Qui sur le sot Frelon ne tombât d'importance
Et ne daubât son mérite étranger,
Ses talents empruntés et sa fausse science.

Ceci soit dit pour vous, prétendus beaux esprits,.
Qui vous parez des ouvrages des autres,
Et ne cessez de blasonner les nôtres.
De vos brillants succès d'abord on est surpris ;
Mais la source féconde où votre froid génie
Puisait tant de doctes écrits,
Se trouve-t-elle enfin tarie,
On n'a pour vous que du mépris.

Livre II, fable 12


Notes de l'auteur :

Hymerte : montagne de le l'Attique, province de l'ancienne Grèce.
Hibla : montagne de Sicile, l'une et l'autre fameuses dans les poètes, par l'excellent miel que les Abeilles y faisaient.


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