Il était certain Philosophe,
Mais Philosophe à trente-six carats ;
Le définir serait grand embarras.
Aristote 8c Platon étaient de mince étoffe
Au prix de l'ergoteur ;
ils n'en approchaient pas.
Dès que l'aube du jour commençait à paraître
Il rassemblait ses nourrissons
Pour leur donner de savantes leçons,
Et jusqu'au soir, ce sage maître
Leur poussait des ergò de toutes les façons.
Il n'était aucune partie,
Aucun petit recoin dans la Philosophie,
Dont il ne sût tous les tenants,
Comme l'on dit, et les aboutissants.
Toujours il disait des merveilles ;
Mais quelquefois fatiguait les oreilles,
Tant son babil était constant :
Toujours perché sur l'empirée,
Du ceintre radieux de la voûté azurée,
Plutôt que de la terre., il était habitant.
Enfin, il se donnait tant de soin, tant de peine,
Pour former son peuple naissant,
Que souvent il perdait et la voix et l'haleine
Et paraissait comme un -homme expirant.
Il dédaignait si fort sa dépouille mortelle
Qu'on aurait cru que son esprit
N'avait point ici-bas de commerce avec elle.
Elle avait beau se plaindre, elle était sans crédit.
Satisfaire aux besoins qu'exige la nature,
Était une chanson. Sommeil et nourriture,
Et tout autre secours, il s'était interdit.
Ainsi vivait le nouveau Pythagore,
Outrant les lois de la sobriété.
Qu'arrive-t-il ? Il sèche et pis encore,
Sa voix s'éteint, son œil perd sa clarté.
Réduit dans ce triste équipage,
Vous eussiez cru voir la plaintive Écho
Ou quelque ombre qui va passer le noir rivage.
Des sons entrecoupés forment tout son langage.
Il ne prononce plus qu'ergò
Et le mot chéri distinguo.
Déjà son corps se décompose,
Et son esprit, sans espoir de retour,
Allait quitter le terrestre séjour.;
Mais le Destin autrement en dispose.
Touché de ses vives douleurs
Pour mettre fin à ses malheurs,
Il a recours à La métamorphose.
Bientôt on voit, ô prodige nouveau !
Le Philosophe à mince corpulence,
Sans éprouver les horreurs du tombeau,
Se reproduite ; et nouvelle substance,
De ses beaux jours éteints rallumer le flambeau.
Son dos se trouve orné de transparentes ailes,
Ses membres décharnés, presque réduits à rien,
Reprennent des forces nouvelles,
Et six pieds le formant, lui servant de soutien.
Une écaille verte et changeante
Le couvre et lui fournit une robe éclatante.
En Cigale, en un mot, se transforme son corps,
Qui, reprenant la voix, sans jamais perdre haleine,
Fait retentir de ses bruyants accords
Les monts, les forêts et la plaine.
Mais admirez l'adresse du Destin :
Il donne encore à la Cigale
Mêmes penchants et même instinct,
En discours superflus sans cesse elle s'exhale ;
Par son babil elle étourdit.
On dirait que toujours, pour montrer sa science,
Elle argumente et contredit.
Pour l'avenir elle est sans prévoyance,
Et lorsque, pendant tout l'été.
Le jour, la nuit, elle a chanté,
Se trouvant épuisée et de tout dépourvue,
Elle périt enfin quand la bise est venue.
ENVOI
Ami très cher, je vous l'avais promit
De vous dépeindre en cette Allégorie :
Rendez-vous donc à mes sages avis.
Trop d'intérêt à vos talents me lie,
Pour vous laisser prodiguer votre vie.
Si vous allez toujours du même train
Vous pourriez bien verser votre voiture.
Platon le dit et l'adage est certain :
On risque tout en forçant la nature.