« La belle eau claire !
Comme on y voit bien le poisson,
Ablettes, perche, carpillon,
Et goujon,
S'ébattre autour de l'hameçon !
Mais, pour y mordre, point d'affaire.
Et Babeau qui m'attend la poêle sur le feu !
Vais-je encor rentrer les mains vides ?
Ma foi, non! Essayons un peu.
Je vois bien ce que c'est : ces eaux sont trop limpides-;
Et là-dessus, maître Garrot
Pose sa ligne, prend son croc,
Et soulève du fond la vase qui remonte,
Noirâtre, comme un jet de fonte,
Crève en bulles, et s'épand
À la surface de l'étang.
Notre homme, satisfait, jette aussitôt sa ligne
Au large, tant qu'il peut, et bientôt, joie insigne !
Il se sent mordre ; il ferre, et sans plus de façon,
Voit sauter à ses pieds, au bout de l'hameçon,
Dans le gazon,
? Un magnifique barbillon.
Sitôt pris, sitôt frit. On déjeune, on banquette.
Mais voici bien une autre fête.
Garrot, pâle comme la mort,
Se plaint de coliques, se tord :
- Qu'est-ce donc ! quel est ce breuvage ?
Pourquoi donc dans mon vin ce goût de marécage !
- Mais on vient de remplir la cruche, dit Babeau,
C'est de l'eau fraîche. - Non, c'est du poison, ton eau.
- Quoi ! l'eau de notre lac, si limpide, si beau !
Si goûté, si vanté de quiconque est notre hôte !
?- Oui, mais je l'ai troublée. - Alors, à qui la faute ?
A vous, aimables pêcheurs
Qui hantez les bords du Permesse ;
A vous, messieurs les auteurs
Qui vous arrachez les faveurs
Du public et de la Presse,
C'est à vous, mes amis, que va cette leçon.
Ne prenez pas votre poisson
En eau trouble. Rien ne vous presse,
Pas de moyens suspects. Restez dans le courant
Transparent
Où coulent les belles pensées.
C'est là qu'il faut ferrer les vers.
Frais et clairs,
Le mot juste, vibrant, les rimes cadencées.
Un seul jour vous paiera de vos peines passées.
Mais fuyez le scandale ; évitez les bas-fonds ;
Les sujets qui sentent la vase.
Imitez les esprits sincères et profonds :
Faites comme l'auteur du Vase.
Novembre 1884