Les deux Chasseurs et le Faisan Léon Riffard (1829 - ?)

Chiens et rabatteurs faisaient rage,
Ayant pour objectif le clocher du village.
Devant eux, dans les joncs marins,
Dans les genêts, dans les bruyères,
Sous les bouleaux, sous les sapins,
À travers fourrés et clairières,
Les hôtes divers de ces bois,
Affolés par le bruit des cris et des abois,
Fuyaient. Oiseaux d'abord : Mésanges et fauvettes;
Les merles, les piverts chassés de leurs cachettes
Et puis tout le gibier : Les lapins, les perdreaux
Les faisans et les faisandeaux.
Ceux-ci faisant de petites volées
Ou-bien piétant dans les coulées ;
Ceux-là trottant, revenant sur leur pas,
Prêtant l'oreille au branle-bas,
Et puis repartant de plus belle.
Dans la débâcle universelle,
Un vieux coq argenté, prudemment, sans émoi,
Se défilait suivi d'une jeune femelle,
Qu'il rassurait disant : Faites bien comme moi,
Et je vous sauverai, ma belle.
On approchait du chemin creux.
- Halte-là ! fit soudain le vieux,
Voici l'instant, l'instant critique :
Je connais toute leur rubrique.
Mais écoutons ! Les chiens sont loin :
De nous presser pas n'est besoin.
Vous avez du cœur, ma poulette,
Et de bons yeux : Montez sur cette sapinette,
Et vous guetterez qui nous guette.
Car ils sont là, j'en suis certain,
Embusqués au bord du chemin,
Tous ces bandits, que Dieu confonde !
Regardez bien : Fouillez tout le bois à la ronde.
Avoir reconnu l'ennemi,
C'est être vainqueur à demi.
Elle monte, et redescend vite
Tremblante, la pauvre petite !
- Ah ! justes cieux ! je les ai vus,
Us sont là, le long du talus,
A cinquante pas de distance.
D'autres sont posés en retour
Tout alentour.
De nous sauver aucune chance !
- Allons ! calmez-vous, dit le vieux,
Et répondez de votre mieux.
Où sont exactement les tireurs ? - Sous le chêne
Se tient un grand gaillard, à la mine hautaine,
Bien vêtu ; carnier neuf. Son fusil au soleil
Etincelle : jamais je n'en vis de pareil.
- Bon, bon ! après ? et l'autre place,
Par là ? - Ce n'est qu'un garde-chasse.
- Par ici ? - C'est un petit vieux,
Qui n'a pas l'air bien dangereux.
Vieille blouse, vieille casquette,
Vieux souliers, et vieille escopette,
Qu'il doit tenir de ses aïeux !
Oh non ! il n'est pas dangereux ! -
Elle essayait de rire, la pauvrette !
Mais elle riait jaune, étant morte de peur.

- Vous croyez cela, ma petite,
Eh bien ! regardez - quel malheur ! -
Le bonhomme venait, d'un double coup superbe,
D'abattre deux perdreaux qui gigottaient dans l'herbe.
- Désarmé ! voilà le moment,
Fit le coq. Suivez-moi, la belle,
Et nous l'aurons échappé belle.
En avant ! -
Et, pareils au soldat qui s'élance à la brèche,
Ils partent droits comme une flèche,
Comme s'ils chargeaient le chasseur
Dont la poule avait si grand' peur.
C'est en vain que le garde-chasse
Crie : à vous, monsieur le Baron !
Au même instant le couple passe,
Ainsi qu'un boulet de canon,
Au-dessus du pauvre garçon,
Qui, tout surpris de tant d'audace,
Lâche, sans épauler, ses deux coups au hasard.
Maladroit ! fit le vieux grognard.

Ma fille, en entrant dans la vie
Ou tout n'offre souvent que réclame et décor,
Pense à mes deux chasseurs. Et jamais ne l'oublie
Tout ce brille n'est pas d'or ! »

Livre III, Fable 2




Commentaires