Le Pêcheur et la Sirène Pierre Louis Dominique de Gautier de Saint-Paulet (1800 - 1883)

Un jeune et beau Pécheur, vers le déclin du jour,
Sur la falaise assis et penché sur les ondes,
Plongeait au sein des eaux profondes
Un long et doux regard d'amour ;
L’heure a trois fois, remplaçant l'heure,
Au temps fait changer de demeure,
Devant la nuit a fui le jour
Depuis qu'une fiévreuse attente
L’absorbe et que des yeux, du cour,
Il sonde ainsi la profondeur
Du golfe à onde transparente.
A voir son immobilité
De bronze on dirait une image;
Même son penser en partage
Toute l’étrange fixité.
Chant de bulbul, voix de la brise,
A ses pieds le flot qui se brise,
Rien ne distrait le beau Pécheur.
Par degrés cependant la lune
S'élève au-dessus de la dune
Et la blanchit de sa lueur;
A son tour le golfe s’éclaire
Et bient6t l’humide élément
Est tout entier imprégné de lumière.
Soudain le beau Pécheur tressaille et, plus avant
Sur les flots blanchis se penchant,
Il voit se jouer dans les ondes
Nymphe aux yeux bleus, aux boucles blondes ;
Elle chante : sa voix semble par sa douceur
Un timbre d'or vibrant au cœur.
Viens ! dit la Nymphe au beau jeune homme ;
Viens ! ô toi que j'aime d'amour !
Délaisse ton triste séjour
Pour être Roi dans mon royaume!
Echange des jours de travail
En des jours coulés dans l'ivresse ;
Mon brillant palais de corail
Te garde bonheur et liesse ;
Trois fois déjà je suis venue à toi
Pour t’ofrir cœur et couronne !
Ne tarde plus! a ton tour viens à moi ! »
— A toi! » dit le Pécheur ; A toi je m’abandonne !
Je t'aime et je veux être Roi !
Et fasciné par la Sirène,
L'infortuné s’élance et sous l’humide plaine,
Victime de son fol amour,
Disparait, hélas! sans retour.

Ainsi le monde a son mirage
Ou tu verras, mon fils, surgir la volupté,
Sirène aux doux regards, Sirène au doux langage,
Nous offrant et couronne et palais enchanté.
Malheur à celui qu'elle enivre!
Si imprudent, hélas ! s’élance pour la suivre ,
Aux flots où la Sirène étale sa beauté,
Comme le beau Pécheur, d’un fol amour victime,
L’imprudent sans retour disparait dans l'abime.