Sur le sommet d'un roc inaccessible,
De Jupiter l'aigle fier et terrible
De mille et mille oiseaux était jadis le roi,
Et de force ou de gré tout vivait sous sa loi ;
Car il s'environnait d'un appareil horrible.
On voyait près de lui les ducs et les vautours,
Tous messieurs aux serres cruelles,
Et des ordres royaux les ministres fidèles.
Les buses, les milans, les corbeaux, les autours,
Du souverain formaient la garde ;
L'agace, dame babillarde,
Avec le sansonnet, au gré de ses désirs,
Par maint et maint caquet occupait ses loisirs ;
C'était là tout leur ministère.
Cet aigle avait aussi courtisans et flatteurs ;
On sait que chez les rois ces gens ne manquent guère.
Qu'était-ce après ? c'était la masse populaire,
Autrement les petits, très humbles serviteurs.
Il exerçait sur eux le plus cruel empire ;
Il avait le nom d'aigle, et l'instinct de vampire ;
Du peuple incessamment il outrageait les droits,
Et transgressait les saintes lois :
Elles le condamnaient, eût-il voulu les suivre ?
Des faucons cependant indignés, las de vivre
Sous la loi de cet aigle-là,
De cet oiseau Caligula,
Jurèrent d'arrêter le cours de tant de crimes,
Et de venger le sang des nombreuses victimes
Qu'il avait fait périr sans besoin, sans raison.
De leurs desseins bientôt il reçoit la nouvelle ;
Il fait doubler partout et garde et sentinelle.
Je saurai bien, dit-il, punir la trahison
De ces faucons ; il faut qu'on aille à leur demeure,
Qu'on s'empare du chef, et qu'à l'instant il meure.
Vous ignorez encor jusqu'où va mon pouvair.
Ab, messieurs les faucons, je vous le ferai voir !
L'aigle pourtant eut beau faire, eut beau dire,
Malgré milans, vautours, agace et sansonnet,
Maîtres faucons étranglèrent le sire
Tout net.
Puisse ma fable apprendre aux rois
A gouverner selon les lois,
Qu'eux-mêmes ne sauraient enfreindre
Sans avoir leurs faucons à craindre !