Le Rat et l'Eléphant René Alexandre de Culant (1718 - 1799)

Tout plein de son mérite et de ses qualités,
Un éléphant, important personnage,
Gonflé d'orgueil, marchait à pas comptés,
Un pauvre rat, étourdi comme un page,
Ayant fon trou fur fon passage ,
En sortit assez brusquement,
Sans prendre garde et malheureusement,
A l'instant, où la bête énorme,
Allait poser sur lui fon pied difforme.
Ah, monseigneur ! si vous marchez encor
Vous m’écrasez ; arrêtez je vous prie:
Criait le rat. Qu’importe à la patrie,
Dit l'éléphant, ou ta vie ou ta mort ?
A peine, eût-il lâché cette parole,
Qu'il écrasa la pauvre bestiole.
Son procédé fut blâmé d’un chacun:
Mais un rat parent du défunt.,
Savant jusques aux dents, ayant rongé Sénéque,
Plutarque, Homère et Casaubon,
Un vrai rat de bibliothèque,
Jura, qu’il en aurait raison,
Quoi ! tu me déclares la guerre?
Dit l'éléphant, et que prétends faire ?
Si je ne puis, dit l'autre, être Achille on Céfar,
J’emploierai, comme Ulysse et artifice à l'art,
Et dans peu tu pourras connaitre,
Qui, de nous deux, est fait pour être maitre,
L’éléphant fit peu de cas,
De cette rodomontade,
Et le rat, tout de ce pas, —
Va se mettre en embuscade,
Voyant, qu’a fon ennemi,
Un arbre servait d'appui,
Quand cédant a la nature,
Il s’abandonne au sommeil ;
Ce rat, qui n’eut fon pareil ;
Profita de l'aventure ;
Sur l'arbre il grimpe aussitôt,
Puis, descendant sur le dos
De l’animal qui sommeille,
Tl va, d'un pas triomphant,
Se nichet droit dans l'oreille
Du malheureux éléphant
La déchire à coups de dent
Criant il faut te résoudre
Monstre, à périt aujourd’hui.
L'autre qui croit que la foudre
En éclats, tombe fur lui,
Frémit , écume de rage,
Tl crie au meurtre, au secours
De manière a rendre sourds
Tous les gens du voisinages
Qui pourrait te secourir,
Dit le rat, quand à périr,
Moi-même-je me condamne ?
Je puis te ronge le crâne,
Et jusques dans ton cerveau
Creuser mon propre tombeau.
Sois juste, ou crois que ta vie,
Fusses-tu de sans royal,
Dépend de sang royal,
Dépend de ta fantaisie,
De plus petit animal.
Ayant dit cette sentence,
Mon rat, à terre s'élance,
Et se fourre au premier trou,
Satisfait de sa vengeance,
Laissant l'autre à demi-fou.

Livre III, fable 2




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