Le Moraliste et le Prophète Éliphas Lévi (1810 - 1875)

LE MORALISTE
Si la fable est une imposture,
On ne doit pas la tolérer,
Et le flambeau de la nature
Suffit seul pour nous éclairer.
En vain vous dites que vos songes,
Que vos ingénieux mensonges,
Du méchant trompent les fureurs ;
Trop souvent ils les favorisent,
Et tous les vrais sages méprisent
Les méchants et les imposteurs.

LE POETE
La fable n'est pas l'imposture,
L'ombre est nécessaire au soleil.
Les rêves sont dans la nature,
Qui nous a permis le sommeil.
Révélerez-vous à l'enfance
Les mystères de sa naissance
Sans offenser sa pureté ?
L'enfant dort, Dieu lui parle en songe.
La fable n'est pas un mensonge,
C'est l'ombre de la vérité.

LE MORALISTE
Quand le soleil de sa lumière
Inonde l'Orient vermeil,
De l'enfant que le jour éclaire
Pourquoi prolonger le sommeil ?
Pourquoi le bercer par des fables,
Quand les vérités formidables
A son réveil vont l'assaillir ?
Qu'il ignore, mais qu'il apprenne ;
Qu'il ne rêve pas, qu'il comprenne :
Car l'amuser, c'est le trahir.

LE POETE
J'en crois mieux à l'instinct des mères ;
J'en crois au ciel, qui du berceau
Ecarte les peines amères
Et lui dérobe le tombeau.
La vérité prématurée,
En se montrant, reste ignorée ;
D'ornements il faut la parer.
L'espérance est une imposture
Peut-être, mais c'est la nature
Qui nous ordonne d'espérer.

LE MORALISTE
Travaillez à la délivrance
De ces esclaves de l'erreur.
Le travail n'est pas l'espérance,
C'est le conquérant du bonheur.
Que les réalités sévères
Remplacent vos folles chimères.
Que vous fait le vague du ciel ?
Exercez l'homme à la sagesse,
Et ne lui versez pas l'ivresse
Dans des vases frottés de miel.

LE POETE
Prenez-nous pour ce que nous sommes.
Les jours succèdent aux matins.
Quand les enfants seront des hommes,
Ils ne craindront plus les lutins.
Laissez-nous pour le premier âge
Des vérités orner l'image ;
Restez tristes et triomphants,
Mais laissez fleurir pour les mères
L'espérance aux douces chimères,
Et les fables pour les enfants.

Livre III, fable 9




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