Certain lion, jadis, régnait par la terreur ;
L'animal était né farouche, atrabilaire ;
Heureux donc le sujet qui pouvait se soustraire
Aux noirs accès de sa fureur.
Cet âne' vient, dit-il, de braire
D'une façon
A m'inspirer quelque soupçon ;
Que l'on étrangle net la chétive pécore.
Je viens de voir aussi trois ou quatre brebis
S'entretenir ensemble au fond de ce taillis :
Sans doute, contre moi, l'on conspirait encore ;
Qu'à l'instant ces brebis subissent le trépas.
Que l'on fasse tomber la tête à ces gazelles ;
Je sus hier de leurs nouvelles.
D'assassinats enfin un jour qu'il était las,
Il alla s'enfoncer dans la forêt prochaine ;
Il aurait bien voulu que le dieu du repos
Sur ses yeux fatigués répandît ses pavots ;
Mais en vain le zéphyr d'une bénigne haleine
Des arbres mollement balançait les rameaux ;
En vain, caressant son rivage,
Le ruisseau murmurait à travers les roseaux ;
Car à peine vient-il de fermer la paupière,
Qu'en sursaut le remords amène son réveil,
Ou bien si le dieu du sommeil
Le dérobe un moment aux traits de la lumière,
Soudain il est en proie à quelque songe affreux.
De mille et mille innocentes victimes
Le sang à flots ruisselle sous ses yeux ;
Lui même est effrayé du tableau de ses crimes ;
Sa queue, avec effort, bat son flanc agité ;
Il roule en son orbite un oeil ensanglanté;
La rage et la terreur soulèvent sa crinière ;
Il croit voir ses sujets lui livrer le combat ;
Il les menace encor de sa dent meurtrière ;
Mais sa force s'épuise, en vain il se débat ;
De la mort, à ses yeux, brille la faux terrible :
Le sommeil d'un tyran ne fut jamais paisible.

Livre IV, fable 20




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