Le Volcan et la Montagne Léon Riffard (1829 - ?)

Séparés par un lac, où se miraient leurs cimes
Un mont tout verdoyant, un volcan ténébreux,
Empanaché ;de vapeurs et de feux,
Causaient un jour à travers les abîmes :
« Moi, je suis le maître en ces lieux ! »
Disait, entre deux bouffées
De flammes et de fumées,
Le volcan, d'un ton furieux.
« Qui me brave
Est un fou, privé de raison.
Ma lave
A bientôt submergé son champ et sa maison.
Voyez cette vallée, immense, solitaire,
Lugubre comme un ossuaire.
Pas une fleur, pas un oiseau,
Même au retour du renouveau !
Tel est l'effet de ma colère.
Là vivait au soleil un peuple riche, heureux,
Dans les vignes, parmi les oliviers poudreux,
Les frontons des villas, les pignons des chaumières
Riaient, enguirlandés de pampres et de lierre.
Ce n'était que chansons, danses jusqu'au matin.
Insensés, qui venaient au son du tambourin,
Dans la nuit, aux reflets de ma sombre lumière,
Mener la farandole autour de mon cratère !
Ils dansaient, et le sol tremblait, grondait sous eux !
Mais le cratère un jour s'ouvrit. La farandole,
Comme un collier brisé, s'égrena. Dans mes flancs
Je les engloutis tous, un à un. - Pauvres gens !
- Vous les plaignez ? Sur ma parole,
Ils avaient mérité les derniers châtiments.
- Eh quoi ! le bonheur est un crime
À vos yeux ! Je pense autrement,
Et ne vois dans cette maxime
Qu'un détestable sentiment.
Loin de mettre ma joie à régner dans le vide,
À m'entourer d'affreux déserts,
J'accueille dans mes bois, dans mes prés toujours verts,
Une foule joyeuse et de plaisirs avide.
J'étale sous ses pieds des tapis somptueux
Que je déroule sur les pentes ;
Je mets partout des eaux courantes :
Ruisseaux, cascades murmurantes,
Bassins cachés, silencieux,
Où vient boire la biche, où miroitent les deux.
J'y fais trembler la frêle image
Des bouleaux, aux rameaux pleureurs,
Et je fais circuler au travers.du bocage,
Sous les longues nefs de feuillage,
Le lacet des sentiers rêveurs.
Promenez-vous, enfants, la nature est si belle !
Le renouveau si vert, si doux !
Ici, point de poison, point de bête cruelle.
Je veille sur vos jeux, enfants, ébattez-vous.
Et cet accueil les encourage,
Et je vois ainsi, chaque jour,
Tandis que le désert à vos pieds se propage,
Tout un peuple nouveau se fixer sur la plage
Que je couvre.de mon ombrage.
C'est la commune loi du terrestre séjour :
Vous, vous êtes la haine, et moi, je suis l'amour. »

Livre I, Fable 10






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