Le Soleil, la Montagne et la Vallée Jean-Louis-Marie Guillemeau (1766 - 1852)

Un mont dont la tête pelée
S'élevait presque jusqu'aux cieux,
Comparait ses destins à ceux d'une vallée,
Et promenait sur elle un regard dédaigneux.
Pour jamais, disait-il, au mépris condamnée,
Son sort est de traîner obscurément ses jours ;
En vérité, je plains sa destinée ;
Que ne puis-je en changer le cours !
Brillant au-dessus d'un nuage,
Le soleil l'entendit de son char radieux,
Et, voulant abaisser ce ton présomptueux,
Il lui tint, dit-on, ce langage :
« Insensé ! quelle est ton erreur !
Qu'as-tu, dis-moi, qui puisse plaire ?
En vain de ton sommet tu vantes la hauteur ;
Les monstres seuls y trouvent un repaire,
Et chacun te proclame un séjour plein d'horreur.
Cette humble vallée, au contraire,
Qu'entourent d'épaisses forêts,
Doit se féliciter, et bénir à jamais
Son état modeste et prospère.
De toute part, mille ruisseaux
Répandent dans son sein l'abondance et la vie,
Et j'aperçois partout de superbes troupeaux,
Qui paissent une herbe fleurie.
Bien plus, sur ces coteaux riants,
Je vois le plaisir et l'aisance ;
Et, de tous ces haineaux, les heureux habitants,
En son honneur font entendre des chants
D'amour et de reconnaissance. »

A tort, la folle vanité
Fait briller à nos yeux une gloire futile ;
Une importante vérité :
C'est qu'on n'estime que l'utile.

Livre VI, fable 1




Commentaires