La revanche de la Cigale Léon Riffard (1829 - ?)

O Provence, ton nom est doux à mon oreille,
Ton image à mon cœur !
J'en aime les contours, la lumière vermeille
Et l'étincelante couleur.
Champs d'oliviers, où la brise légère
Fait trembler au soleil un reflet de métal,
Et toi, vaste figuier, dont l'ombre séculaire
Abrite le vieux puits où dort un frais cristal,
Lauriers en fleurs, rochers que la vigne couronne,
Rien de plus beau que vous sous la cape des deux,
Ni tes bois, ô Colone,
Ni tes eaux, ô Tempe, séjour des demi-dieux.
C'est que notre Provence est la sœur de l'Hellade.
Son ciel n'est pas moins clair, son azur moins profond,
Moins pures ses beautés - Canéphore ou Ménade -
Moins sonores ses vers, son esprit moins fécond.
Elle a Nausicaa, mais nous avons Mireille !
Même grâce, après tout, sinon même idéal.
L'Europe, est attentive, et parfois, ô merveille !
On croit entendre Homère en écoutant Mistral.
Quant à moi qui, troquant le Rhône pour la Seine,
Dans la pluie aujourd'hui, demain dans le brouillard,
Ai vu depuis longtemps la gaieté de ma veine
S'épuiser sous ce ciel, blafard,
Sitôt que de rimer il me prend quelque envie,
Je fuis à tire-d'aile au pays sans pareil,
Heureux d'y transporter pour un instant ma vie,
Et de mettre en mes vers un peu de son soleil.
Aussitôt plus d'efforts : le sujet se précise,
Le paysage vient se disposer autour,
Et la Muse d'antan, ramenée et soumise,
La Muse, qui pour nous est comme une payse,
Me dicte quelques vers que j'écris au retour :
Tantôt la manière héroïque,
Pour ne pas dire évangélique,
Dont la cigale se vengea
De la fourmi qu'elle hébergea ;
Et tantôt la fin bien cruelle
D'un jeune lapin sans cervelle,
Qui périt avec tous les siens,
Pour avair méprisé le conseil des anciens '.

Aussitôt qu'elle eut mis la cigale à la porte,
Elle fit double tour, et se mit à ranger,
Deçà, de là, grondant : « Que le diable l'emporte !
Propre à rien, fainéante ! Elle veut me gruger !
C'est pour des péronnelles
Qu'on se donnerait tant de mal !
Non, non ! dansez, mesdemoiselles !
Dansez : voici l'heure du bal. »
Justement le vent faisait rage
Dehors : on entendait pleuvoir,
Et les éclairs, chargés d'orage,
Illuminaient tout le ciel noir.
La cigale qui craint surtout le temps humide
S'était blottie au trou d'un mur.
Se sentant à l'abri dans cet asile sûr,
Elle se consolait d'avair l'estomac vide.
Et l'eau montait dans le chemin.
Bientôt la pauvre fourmilière
Fut submergée... Adieu, butin
Conquis par tant de soins, de labeur, de misère !
Echappée à grand' peine au milieu des débris,
Sur un radeau formé d'un brin d'épine,
Les pieds en sang, les flancs meurtris,
Et survivant à sa ruine,
La fourmi près du mur finit par attérir.
Elle grimpe aussitôt sur la pierre glissante,
Voit un trou ; va pour s'y tapir... ' -
Mais soudain, pleine d'épouvante,
Tout près d'elle dans le coin noir,
Justes cieux ! rencontre fatale !
Elle voit luire,.- plus d'espoir ! -
Les deux gros yeux de la cigale.
« Place pour un : place pour deux !
Entrez, entrez donc ma voisine !
Vous êtes blessée ! Ah ! grands dieux !
Voyons un peu que j'examine !
- Car j'y vois dans l'obscurité -
Ce n'est rien.: blessure légère !
Mettez-vous là, dormez. Pour plus de sûreté,
Je veillerai sur vous, commère ! »
La fourmi n'en revenait pas.
Un tel accueil ! est-ce croyable ?
Et l'autre ne se doutait pas
Qu'elle pût paraître admirable !
C'est ainsi que dans ce réduit
La chanteuse et la ménagère,
S'étant souhaité bonne nuit,
Attendaient le retour de la douce lumière.

L'économie est une qualité
Qui peut mener au défaut d'avarice.
L'avarice devient peu-à-peu dureté.
Oh ! le laid et damnable vice !
Il est une vertu que la divinité
Suggère à toute créature.
Elle rachète tout, elle est grande, elle est pure.
Nos prédicants la nomment : Charité.
Pour moi, tout simplement, je l'appelle Bonté.

Livre II, Fable 1




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