La Cigale et le Rossignol Édouard Parthon de Von (1788 - 1877)

La cigale, comme on sait,
Se trouva fort dépourvue
Quand la bise fut venue.
La fourmi la repoussait ;
A cette lésinerie
Ajoutant, par raillerie,
Le conseil impertinent,
Qu'elle donnait à la belle,
De danser à tout venant.
Oui, je danserai, dit-elle ;
« Tes conseils seront suivis,
Insolente ménagère,
Et peut-être ton avis
Terminera ma misère.
En ce moment, des sauteurs
On sait quel est le salaire,
Aussi bien que des chanteurs !
Je veux, sur notre théâtre,
Que le public idolâtre
Applaudisse mon début.
Plus qu'Elssler ¹ je suis ingambe ;
J'ai des trésors dans la jambe
Et ma voix va jusqu'à l'ut,
Autre moyen de salut.
On trouvera que mes pattes
Sont maigres, longues et plates ;
Mais on dit qu'à l'Opéra
Les plus célèbres danseuses,
Et même quelques chanteuses,
Sont faites comme cela.
Le jour, quand je me promène,
J'ai le teint vert ; à la scène,
Comme une autre, j'ai l'espoir
Qu'il paraîtra blanc le soir. »

La séduisante cigale
Part, en achevant ces mots,
Et gagne la capitale
Du pays des animaux.
L'examen préparatoire
Se fait au conservatoire,
Elle Ꭹ va dans peu d'instants.
Le rossignol y préside
Et, sans appel, y décide
Sur le sort des débutants.
La cigale y fait entendre
L'aigre cri que vous savez.
Aisément vous concevez
Qu'un pareil chant dut surprendre
Notre illustre président :

« - Votre voix est mirifique !
Et dans l'art chorégraphique
Je connais votre talent,
Dit le rossignol ; ma chère,
Avec le temps, je l'espère,
Vous pourrez nous enchanter ;
Mais, franchement, pour nous plaire
Vous avez beaucoup à faire.
Avant donc de débuter,
Travaillez avec constance.
Quoique l'on sache sauter,
On peut ignorer la danse,
Et crier n'est pas chanter. »

Livre I, fable 4




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