La Cigale disait au Rossignol un jour :
— « Certainement, vous chantez à merveille,
Et je suis la première à dire, sans détour,
Qu'il n'est point ici-bas de volupté pareille
A celle de prêter l'oreille
A vos suaves entretiens,
Si ce n'est le plaisir qu'on peut goûter aux miens,
Car vraiment vous ne sauriez croire
Combien aussi mes chants attirent d'auditeurs. »
— a Pour vous, ma chère, un auditoire !
Vous, moduler des accents séducteurs !
Où sont donc ces amateurs
Si pressés de vous entendre ? »
— « Ici, sans se faire attendre,
Ici même, dans les champs,
Les moissonneurs, dès l'aurore,
Sont attentifs à mes chants ;
Le soir les retrouve encore
Charmés des accords touchants
De ma voix pure et sonore. »
— « Les moissonneurs, dites-vous ?
Du nombre qui vous écoute
Je fais grand cas ; mais je doute
Qu'ils soient juges entre nous.
On peut vanter leur ouvrage
Et leurs pénibles efforts ;
Mais parler de leur suffrage
En fait de savants accords,
Ce n'est point là leur affaire.
Que vous chantiez mal ou bien,
Ils font ce qu'ils ont à faire ;
Vos chants pour eux ne sont rien.
Que si vous me disiez, voisine,
Qu'épris de vos divins accents
Le berger qui se tient au pied de la colline
Vous a prodigué son encens ;
Que lui, qui chante à l'heure où je chante moi-même,
Exalté par l'éclat de vos sublimes airs
A, sur son chalumeau, d'une douceur extrême,
Mêlé ses propres chants, à vos propres concerts,
Et que, vaincu vingt fois dans la divine lutte,
Il a vingt fois fait taire et sa voix et sa flûte,
Je vous dirais de le choisir
Pour juge d'un combat digne de son loisir.
Que si devant lui seul, pour unique auditoire,
Vous remportez jamais une telle victoire,
Alors, ce sera différent ;
Alors, je vous admets à partager ma gloire ;
Mais, jusque-là, souffrez que je garde mon rang. »