Le Rossignol ambitieux Théodore Lorin (19è siècle)

« Pourquoi donc dans le fond d'une retraite obscure
Cacher ainsi le talent enchanteur
Dont vous a doué la nature ?
Au rossignol disait d'un ton flatteur
Un pinson étourdi. Quittez ce sombre asile ;
Avec moi venez à la ville
Faire admirer vos chants : en restant dans les bois,
Vous vous rouillez. Croyez-moi, la campagne
N'est pas faite pour vous : les grossiers villageois
Ne savent pas goûter votre charmante voix. »
« Mais, dit le rossignol, ma sensible compagne
L'écoute avec plaisir. » — « A nos sages projets
Elle applaudira la première,
Répartit le pinson ; de vos nombreux succès
Vous la verrez heureuse et fière. »
Le rossignol céda. Ne le blâmons pas tant :
Chacun de nous en aurait fait autant ;
Car le poète le plus mince,
Qui, comme moi, rimaille au fond de sa province,
Dans ses rêves dorés s'imagine qu'un jour
Ses vers mis sous les yeux du prince
Charmeront la ville et la cour.
L'oiseau, sans consulter sa compagne fidèle,
Vers le palais du roi s'envole à tire-d'aile.
Sous ces lambris d'azur et d'or étincelants
Bourdonnait un essaim de légers courtisans,
A qui du survenant la mesquine figure,
L'air emprunté, la gothique tournure,
Fournirent le sujet de mille traits piquants.
A leur aspect, il ne put se défendre
D'un peu de trouble ; en vain il veut se faire entendre :
Un brouhaha, des cris étourdissants
Ont bientôt étouffé ses timides accents.
De toutes parts la jalouse cohue
A l'envi le siffle et le hue.
Enfin, voyant ses efforts superflus,
Le pauvre rossignol se retire confus.
La plus courte folie est toujours la meilleure.
Il regagna sans bruit sa modeste demeure,
Et là, comme autrefois, il réserva ses chants
Pour sa douce compagne et ses tendres enfants.

Livre V, Fable 8




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