Le Rossignol et la Perce-neige Joseph-Marie de Gérando (1772 - 1842)

Sur son trône de glace, en silence, immobile,
De la nuit entouré, régnait le sombre hiver ;
Le monde gémissait sous son sceptre de fer.
Le champ jadis si riant, si fertile,
D'un vêtement de deuil au loin s'était couvert.
Les bois avaient quitté leur aimable parure ;
L'œil, de tous les côtés, ne voyait qu'un désert,
Et la mort promenait sa faux sur la nature.
Pomone et Flore avaient fui le séjour
Où de leurs dons s'étalait la richesse.
Un rossignol, alors plein de tristesse,
Avait cessé ses chants d'amour.
« Que devenir ? disait-il en lui-même,
Blotti dans le tronc d'un ormeau.
Il ne me reste, en ce désastre extrême,
Qu'à choisir ici mon tombeau.
Tout a péri ; de ces ravages
Quel bras arrêtera le cours ?
Qui me rendra mes doux ombrages ?
Il n'est plus pour moi de beaux jours. »

Pendant qu'à la mélancolie
Le pauvre oiseau tout entier se livrait,
Voilà qu'aux lieux où la prairie
Sous un manteau de neige était ensevelie,
Une modeste fleur subitement paraît.
Au travers des frimas elle ose se produire ;
Sa tige délicate a percé sans effort
Ce linceul sous lequel tout dort.
En ouvrant son calice elle semble sourire.
Toute petite elle est, à peine on l'entrevoit,
Et toute pâle est sa nuance.
Le rossignol, cependant, l'aperçoit,
Et son cœur attristé se rouvre à l'espérance.
« Salut, chère petite fleur !
Salut, dit - il, aimable messagère
Qui promets de nouveau le printemps à la terre !
Tu viens consoler ma douleur,
Sois ma compagne, mon amie ;
Par toi je renais à la vie. »

Plus d'un cœur éprouvé, j'en suis sûr, m'a compris.
L'infortuné, sous le poids qui l'oppresse,
S'il épanche en Dieu sa tristesse,
En recevra des secours infinis,
Et la fleur de l'espérance
Viendra sourire encore à sa sombre existence.

Livre III, Fable 20




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