La Grenouille et le Rossignol Étienne Azéma (1776 - 1851)

Une Grenouille était, qui raffolait du chant
Des Fauvettes et des Linottes.
Le Rossignol filait des notes
Qui la faisaient pâmer. Chacun a son penchant.
Un jour, entendant le ramage
De ce Rubini du bocage,
Elle dit au chanteur : Amphion de ces bords,
Enseignez-moi vos beaux accords ;
Je vous apprendrai comme on nage. »
Grâce à ce petit grain d'encens,
Elle en fit son maître d'étude.
Le voilà d'abord qui prélude,
Puis fait rouler sa voix ; et ses sons ravissants,
Pleins de suave mélodie,
Tantôt il les suspend, tantôt il les varie ;
C'était plaisir de l'écouter.
L'autre s'essaye à l'imiter.
Elle se travaille, coasse,
Chante à faux, confond tout : air, phrase, mouvement,
Dans des roulades s'embarrasse,
Et vous attrape un enrouement.
« Je suis maintenant un peu lasse ;
Remettons, dit-elle, à demain.
Et vous, venez dans ma demeure
Goûter les délices du bain.
Le Rossignol y vole, et de sa patte effleure
La surface de l'onde. Il entre, il veut tâter
Du liquide élément ; son plumage se mouille ;
Il a bientôt crampe et frisson,
Et crie au secours, La Grenouille
Sur le bord de l'étang pousse son compagnon.
Ses sens un peu remis, et sa plume essuyée :
« Je suis sauvé d'un grand péril ;
On ne m'y prendra plus, dit-il ;
Ni vous non plus, je crois. Vous vous êtes tuée
A réciter une chanson ;
Et vousNoilà tout enrouée.
J'ai voulu faire le poisson,
Et j'ai failli périr. Belle et bonne leçon.
Dieu fit à chacun sa nature ;
Les Rossignols pour gazouiller,
Les Grenouilles pour se mouiller,
Les mal-contents pour sourciller.
Profitons de cette aventure.

Livre IV, Fable 5




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