Un Propriétaire, orgueilleux
De tous les biens dont ses aïeux
Avaient formé son héritage,
Se plaisait à faire étalage
De ses vastes possessions.
Orgueil, orgueil ! ô toi des passions
La plus commune et la plus vaine,
C'est toi, surtout, dont les prétentions
Accusent la faiblesse humaine.
Ce riche, donc, à l'un de ses amis,
Lequel était venu visiter son domaine,
Disait : « Ces biens qui m'ont été transmis,
Ces prés, ces champs, enfin, toute cette étendue,
Si loin que peut porter la vue,
Tout cela m'appartient ; je suis roi de ces lieux.
Je vous laisse à penser si j'ai des envieux ;
Mais que m'importe à moi ? Je sais que la richesse
Est tout, et que l'homme n'est rien
S'il n'est possesseur d'un grand bien.
Depuis que c'est mon lot, je l'éprouve sans cesse ;
Ce qui fait l'homme grand, ce n'est point sa sagesse
Ni son esprit, ni sa vertu,
Ni ses talents, ni tout autre mérite,
C'est le bien qu'il possède, et j'en suis convaincu.
Dans cette vérité j'ai ma loi tout écrite ;
Et des ambitions la seule qui m'ait plu,
C'est d'arrondir mon bien, de grossir ma fortune.
L'homme qui s'arrondit n'a pas de superflu ;
Chaque arpent ajouté remplit une lacune ;
Et, d'ailleurs, j'ai l'espoir qu'avec l'aide de Dieu
Et le prochain trépas d'un parent qui me reste
Mon bien sera doublé dans peu.
Je n'en attends pas moins de la faveur céleste ;
Eh bien ! mon cher, ce penser me grandit.
Je m'élève à mes yeux ; je me sens plus d'étoffe.
Je sais que là-dessus, du moins à ce qu'on dit,
Vous pensez comme un philosophe ;
C'est, sans doute, fort bien ; mais, en homme d'esprit,
Soyez juge dans votre cause :
Convenez que sans bien l'homme est fort peu de chose.
De vous à moi, sans contredit,
La différence est du grand au petit.
J'ai des gens, des vassaux et presque une province ;
Il arrive parfois qu'on me nomme mon prince !
Et vous, sait-on si vous avez un rang ?
Donc, par ce bien qui m'environne,
Quelque chose de large et de noble et de grand,
D'immense enfin s'attache à ma personne. »
L'ami, jusque-là fort discret,
Lui dit alors : — « Dans votre cabinet
J'aperçois une mappemonde,
Montrez-moi, s'il vous plaît, sur la machine ronde,
Le chemin que vous avez fait ;
Je veux pouvair souvent admirer à souhait.
Ce grandiose aspect de presque tout un monde,
Je m'en fais à l'avance un ravissant plaisir.
Rentré tantôt chez moi, je prendrai le loisir
De parcourir des yeux un si vaste héritage,
Et sur ma sphère aussi d'en retrouver l'image.
Faites que de tous points je demeure enchanté,
Cédez à ma prière ; enfin, c'est un hommage
Que je veux rendre à Voire Immensité. »
À ces mots que dictait un léger badinage,
Notre riche désappointé,
Tout à l'heure si plein de sa propriété,
Peut à peine en marquer la place ;
La pointe d'une aiguille en couvrait la surface.