Le Cerisier et le Propriétaire Jean-Aimé Gaudy-Lefort (1773 - 1850)

LE PROPRIÉTAIRE
Oh ! comme Avril de ses tièdes haleines
A bien paré ton front, mon cerisier chéri !
Mille toufses larges et pleines
N'y forment qu'un bouquet fleuri.

LE CERISIER
C'est toi qui m'as planté ; c'est toi qui m'as fait naître
J'ai grandi sous tes soins constants ;
Je fais ce que je puis, bon maître,
Pour charmer tes regards au retour du printemps.

LE PROPRIÉTAIRE
Et quand l'astre du jour au cercle de l'année
Achèvera la moitié de son cours,
Voilà, tu paraîtras la tête couronnée
De nouveaux et riches atours.
Nous verrons éclater, au sein de ton feuillage,
En globes arrondis ces fruits vermeils et frais,
Ces premiers fruits qui pour notre jeune âge
Ont toujours de si grands attraits.
Mon fils contre ton bois viendra dresser l'échelle ;
Il t'escaladera, muni de son panier ;
Et, joyeuse, à ton pied accourra mon Adèle,
De ses deux blanches mains tendant son tablier.

LE CERISIER
Après ce doux tribut de ma reconnaissance,
Aux jours où le gazon commence à se flétrir,
Contre les feux ardents que Juillet nous dispense,
Ton arbre aura de plus son ombrage à t'offrir.

LE PROPRIÉTAIRE
Oui, plante aimable, oui, sans doute,
Quand du midi brûlant il sentira le poids,
Sous l'abri verdoyant que formera ta voûte
Ton ami viendra lire ou rêver quelquefois.

LE CERISIER
Puis, quand ma sève, enfin, languissante, appauvrie,
Ne remontera plus dans mes rameaux vieillis,
Lorsque je n'aurai plus, à la saison fleurie,
À t'offrir ces bouquets dont je m'enorgueillis,
Hé bien, frappé par la cognée,
J'irai flamber dans ton foyer ;
Heureux, en terminant ainsi ma destinée,
De rendre à mon bon maître un service dernier.

LE PROPRIÉTAIRE
Oh ! longtemps avant toi m'attend la rive sombre ;
Ton heure est loin encor ; les fils de mes enfants,
Ainsi que leur aïeul, s'assiéront sous ton ombre,
Et pourront voir aussi rougir tes fruits naissants.

Et ne crois pas, ami, que tels qu'un bois vulgaire,
Tes restes au foyer soient jamais condamnés :
Selon ma volonté dernière,
En meubles précieux ils seront façonnés.

En coffret élégant, en fauteuil, en armoire,
Transformé par la main d'un adroit ouvrier,
Chez mes petits enfants, et cher à leur mémoire,
Tu revivras, mon cerisier.

L'étranger, en venant dans leur maison riante,
Admirera ton bois par le luxe embelli,
Et sa teinte de rose et sa veine ondoyante
Courant sur un plateau poli.

Il saura ton histoire entière ;
Il apprendra comment tu fus planté par moi ;
On lui dira tes fruits, et ta fleur printanière
Et l'amour que j'avais pour toi.

À qui ne sourit pas l'idée
De voir le souvenir ajouter un matin
À cette part de jours qui nous fut concédée
Par un trop avare destin !





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