Le Cerisier et les Échasses Fortuné Nancey (? - 1860)

C'était au temps, ou le fruit a la fleur,
Vepait de succéder, comme on sait qu'il arrive
Dans les vergers, que soit pour son bonheur
Ou ses besoins, l'homme cultive.
Un cerisier, arbre aux rameaux couverts
De grappes, rouges et vernies,
Etalait ses trésors à tous les yeux offerts,
Objet de toutes les envies.
Deux bambins déjà grands, par leur aspect tentés,
S'étaient au pied de l'arbre un instant arrêtés,
Ces fruits leur souriaient 5 mais par trop élevées,
Ainsi de leur avides mains,
Les branches étant préservées ;
Sans échelle par eux, ne pouvaient être atteints.
Pourtant lasse d'attendre et pris d'impatience,
L'un de nos jeunes gens s'élance,
Et par un saut parvient à se saisir
D'une branche qu'à sa portée
Il abaisse et sait maintenir ;
Elle est ainsi promptement récoltée.
Plus tard qu'à de plus grands que lui,
Ce jeune homme ne puisse atteindre ;
A descendre à son rang il saura les contraindre,
Comme la branche d'aujourd'hui.

Une foule plus loin assez mal contenue,
Contemplait un jeune homme avec hostilité ;
Il était, pour ces gens chose alors inconnue,
Sur grandes échasses monté ;
Ce qui lui donnait l'avantage
D'aller et plus vite et plus loin,
Puis d'atteindre plus haut, ayant même au besoin
Le don de s'élever au niveau d'un étage.
D'abord on le regarde avec étonnement,
Puis bientôt avec peine extrême ;
Car tous éprouvent le tourment
De ne pouvair monter, et se grandir de même ;
Mais que font ces jaloux, par le droit du plus fort ?
A ses échasses ce jeune homme
Doit tout son privilège ; eh bien pendant qu'il dort
On les brûlera ; voilà comme
Entre tous le niveau rétablira l'accord.

C'est ainsi que par jalousie,
Par intérêt ou sotte ambition,
Souvent nous prend la fantaisie,
D'abaisser jusqu'à nous toute illustration.
De l'homme qui grandit, que le mérite élève,
Lorsqu'il ne peut atteindre la hauteur ;
L'envieux, qui toujours contre un grand se soulève,
Le ramène à sa taille et devient niveleur.

En peu de mots tout petit personnage,
Veut un voisin à son image.

Livre IV, fable 5




Commentaires