La Fourmi et la Mouche Fortuné Nancey (? - 1860)

La cigale chantait, dit le bon La Fontaine,
Tandis que la fourmi sans regretter sa peine,
Pour les temps durs thésaurisait.
Cette dernière encore à la mémoire,
En ce moment me revient à souhait :
Je veux en raconter une nouvelle histoire.
Une mouche un beau jour rencontre en son chemin
Une fourmi, qui suivant l'habitude
De ce peuple au travail enclin,
Détalait avec promptitude.
Sans doute de corvée, à l'ordre en ce moment,
Elle avait hâte de se rendre ;
Car dans son vif empressement,
Pour rien au monde on ne l'eut fait attendre.
La mouche s'en approche, et son bourdonnement,
Qui cause à la fourmi quelque retardement,
Fait murmurer déjà cette dernière ;
On l'attend à la fourmilière.
Heureuse de l'occasion,
La mouche insiste, entamant avec elle,
Sur la pluie et le temps, la conversation,
Matière usée et tous les jours nouvelle.
Vainement la fourmi décline cet honneur,
Presse le pas et suit sa route,
La mouche elle veut qu'on l'écoute
Ou bien prendra de l'humeur.
D'intéressant qu'a-t-elle à dire ?
Rien ; mais le jour est long, à quoi donc l'employer ?
Si l'on ne cause un peu ; si même on ne déchire
Quelques amis qu'il vaudrait mieux choyer ?
De nouveau la fourmi réplique,
Je ne connais personne, et j'ai trop peu de temps
Pour causer avec vous longtemps.
- Quoi, personne ? ah vraiment un tel oubli me pique !
Chère amie, eh bien, donc ! à nous entretenir
De la famille, au moins, montrons-nous plus zélées ;
Et de vos parentes ailées,
Presque nos sœurs, causons avec plaisir.
A cette parenté, prétexte qu'elle invente
Pour mieux la retenir et la faire jaser,
Comme on voit, la fourmi qui plus impatiente,
Cherche à fuir comme à s'excuser !
Longtemps encor notre mouche l'arrête,
Mais enfin la fourmi trouve un moyen honnête
De s'en tirer ; en regrettant
Quelques heures en vain perdues ;
Pour l'avenir aussi, se promettant
De rompre mieux encor pareilles entrevues.

Le monde est plein de gens pour qui le temps est long ;
Qui ne peuvent trouver la fin de la journée ;
Qui par désœuvrement tombent dans leur tournée
Chez quelques travailleurs, que leur vue interrompt,

Evite, ayant beaucoup à faire comme à lire,
Ceux qui n'ont que beaucoup à dire.

Livre IV, fable 7




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