Le Fourmilion et le Moucheron Louis-Maximilien Duru (1804 - 1869)

Un vieux Fourmilion, tout couvert de sueur,
Péniblement labourait la poussière
Qui devait devenir sa demeure dernière,
Et ce long et rude labeur
Terminait une vie entière
D'efforts constants, de constante douleur.
Tout auprès, sur l'herbe légère,
Un Moucheron, bouillant d'ardeur,
Mais imprudent, brouillon, volage,
Remplissait tout le voisinage
De chants de-guerre. Il allait et venait,
II s'agitait, il bourdonnait,
Faisant grand bruit, mais faible ouvrage.
Son couvert était mis sur les fruits, sur les fleurs ;
L'air le portait, point de douleurs ;
Le monde était son héritage.
Il ne cherchait que gloire et que douceurs,
Aussi fortuné que volage.

Ne plains-tu pas, mon fils, ce vieux Fourmilion
Qui jadis se cachait pour vivre
Et qui trace aujourd'hui le plus rude sillon,
A l'heure où la mort le délivre?
Le Moucheron n'est-il pas plus heureux?
Et, sous les cieux,
N'envierais-tu pas son partage?
Oh ! non, si tu sais être sage.
Ecoule bien? Le vieux Fourmilion,
Demain de sa coque poudreuse
S'échappe et recommence une existence heureuse,
Et notre insensé Moucheron,
Dans son ardeur hors de saison,
S'ira prendre aux filets où l'impure araignée
Prépare à sa folie une triste saignée.
Vois-tu, ce n'est pas tout de très bien commencer,
De faire bruit dans une ardeur brûlante,
D'attirer les regards ; pour nous récompenser,
Le Ciel veut cette ardeur, et solide et constante.
Ah ! tu seras, mon fils, l'imprudent Moucheron,
Si tu suis seulement ta fougue turbulente ;
Mais tu seras notre Fourmilion,
Si tu ne veux de récompense
Qu'après durable effort et pénible constance.
La vertu coûte cher ; mais l'immortalité
Paie assez, ce me semble, un jour d'adversité.

Livre II, fable 8




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