Le Paon et le Coq Fortuné Nancey (? - 1860)

Que pensez-vous de ma voix, de mon chant ?
Disait un paon au beau corsage,
A l'un des coqs du voisinage ;
Est-il rien de plus pur, comme de plus touchant,
N'est-ce pas qu'en ce point j'excelle,
Et que je crains peu de rivaux ;
Quand dans les bois au loin j'appelle,
Je fais retentir les échos.
- Sans doute, dit le coq, à cette voix puissante,
On doit sans réserve applaudir ;
Mais il en est pourtant qui, forcés d'en souffrir,
La trouvent un peu glapissante.
- De tels gens, de leur goût me donnent triste idée,
Et mieux qu'eux la nature a fait ;
Voyez ? moi, grand et fort, et qui sur mon portrait
N'aurais pas la voix accordée ?
Ce serait ridicule à coup sûr ; vous aussi
Sans doute vous jugez ainsi ?
- Moij s'il vous faut ami, dire ce que j'en pense,
Ce n'est pas sur cela que mon esprit balance ;
J'aime assez que nos chants au loin soient entendus ;
Mais j'en voudrais les tons un peu plus étendus,
Plus variés enfin ; et la monotonie
Me plaît peu dans la mélodie.
- Allons, mon cher voisin, je vois avec douleur
Que vous n'êtes encor qu'à demi connaisseur.
— Eh bien ! reprend le coq, admettons ma sottise ;
Mais puisque j'ai parlé, je crois, avec franchise,
A votre tour, auriez-vous la bonté,
Si par moi sur un point vous étiez consulté,
De me dire, mais là, sans art, sans réticence,
En âme comme en conscience,
Ce qu'il faut faire enfin pour me sauver ?
Depuis longtemps pour moi, je vois, mais avec crainte.,
Le jour du trépas arriver ;
A quoi me servirait la plainte ?
Mes frères vainement sans en tirer secours,
A semblables moyens n'eurent-ils pas recours ?
Malgré leurs cris, quand l'heure fut venue,
La main de leur bourreau sur eux s'est étendue.
Je crains, je vois pour moi venir un sort pareil,
Et pour mieux l'éviter, je compte par la fuite
Me soustraire à toute poursuite.
Qu'en pensez-vous ? suis-je pas en éveil,
Avec bonnes raisons ? - sans qu'elle en soit blessée,
S'il faut qu'à votre oreille arrive ma pensée ;
Je vous dirai qu'ici, depuis tantôt dix ans,
Je vis en pleine paix, sans que moi, mes enfants,
Ni personne des miens enfin ait à se plaindre.
Et nous nous endormons sans avoir rien à craindre.
Que mon exemple ici dissipe vos terreurs,
Et quand vous êtes bien, pourquoi courir ailleurs ?
-Vos raisons, mon voisin, je le crois, seraient bonnes
Si les coqs et les paons étaient mêmes personnes ;
Mais soit dit entre nous, et sans vouloir blesser
Le légitime orgueil dont peuvent se bercer
Messieurs les paons ; ils sont pour la parade ;
On les conserve alors aussi longtemps qu'on peut.
Les coqs eux, mon cher camarade,
On les mange lorsqu'on le veut.
Vous le voyez, la différence est grande
Entre nous, et je vous demande
Ce qu'à ma place vous feriez,
Et s'il n'est pas prudent de porter loin les pieds ?
— Je voudrais mieux entrer dans tout ce que souhaite
Un entêté; je lui répète
Que de s'éloigner il a tort.
— Eh bien ! à dire vrai, répond presqu'en colère
Le coq, qui dans son plan sagement persévère,
Je vous croyais, mon cher, ou plus fin ou plus fort.
Je me trompais ; à cela je m'arrête,
C'est de ne faire qu'à ma tête.
N'en est-il pas ainsi, chaque jour sous nos yeux ?
L'un dit : je ne veux que justice,
Jugez-moi ; mais du bien il faut être oublieux,
Et qu'à tout prix on l'applaudisse.
L'autre semble attendre un avis,
Mais il est tout fixé d'avance ;
Et s'il paraît y mettre quelque prix,
C'est pour se confirmer au mieux dans ce qu'il pense.

Livre IV, fable 4




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