« Donne-toi des talents, cultive ton esprit,
Disait une mère à sa fille ;
La beauté passe, et, quand on y survit,
C'est par l'esprit encor, par les talents qu'on brille. »
Mais la fille, à jamais comptant sur sa beauté,
Méprisait tout autre avantage.
Dans les eaux du lac argenté,
Dont ses pieds foulaient le rivage,
Elle admirait avec fierté
Son indolente et belle image.
Un paon suivait ses pas. C'était un favori,
Dont la vanité complaisante
Aimait à déployer sous sa main caressante
L'or et l'azur d'un cou mollement arrondi
Et le riche éventail d'une queue éclatante.
« Oui, disait- elle, oui, mon oiseau chéri,
Rien n'est beau comme toi, ton port et ton plumage.
Quel hôte ailé de ce bocage
Oserait se montrer quand tu parais ici ? »
Un rossignol l'osa ; mais la hautaine injure
Accueillit sa témérité :
« Va te cacher, oisillon effronté.
Quelle robe ! quelle tournure !
Qu'il est chétif et laid ! Que faire, en vérité,
De cette frêle créature ? »
Indifférent et dédaigneux,
Comme un homme d'esprit qu'une gazette offense,
Le rossignol, d'abord silencieux,
De rameaux en rameaux sautille, se balance ;
Monte, descend, remonte, et se posant enfin
Sur la branche d'un sycomore,
Laisse échapper de son gosier sonore
Un prélude charmant, que suit le chant divin
Dont il venait, chaque matin,
Saluer la naissante aurore.
La jeune fille écoute, et le cherche des yeux ;
De ces sons enchanteurs son oreille est ravie.
« Quoi ! dit-elle, c'est lui qui lance dans les cieux
Ces éclats, ces flots d'harmonie ?
Que ses accords sont purs, brillants et gracieux !
Qu'il module avec art ses airs délicieux !
Quelle suave mélodie ! »
Des éloges flatteurs dont un autre est l'objet
Le paon n'est pas trop satisfait.
Pour ramener vers lui les yeux de sa maîtresse,
Il redouble de soins et de grâce et d'adresse ;
Il fait le beau, le tendre, le coquet,
Et de l'aile et du bec la flatte et la caresse.
« Oui, je t'ai vu, je t'aime, je te vois,
Lui répond-elle avec impatience.
Laisse-moi l'écouter ; attends, il recommence.
Je t'admire toujours ; mais tu n'as pas de voix. »
Le paon voit dans ces mots un reproche, un caprice ;
Il se pique d'honneur, et pousse un son criard
Comme eût fait le cornet d'un pâtre montagnard,
Ou le hautbois d'un Amphion novice.
Tout le bocage en tressaille de peur,
Le rossignol se tait et fuit à tire- d'aile.
La jeune fille en montre de l'humeur,
Et lève sur le paon sa menaçante ombrelle.
Mais sa mère, en ces mots, rappelle sa raison :
« Pourquoi le menacer ? Qu'as-tu donc à lui dire ?
Il croyait que, partout et dans toute saison,
La beauté dans ce monde à tout devait suffire.
Songe qu'en châtiant sa folle opinion,
Ta vanité s'est condamnée ;
Et souviens-toi de la leçon
Que le rossignol t'a donnée. »