Un certain jour, dans un certain pays,
De je ne sais quelle folie
Tous les animaux furent pris.
Chacun en liberté suivait sa fantaisie,
Montrait pour sa nature un souverain mépris.
Les quadrupèdes, les reptiles,
Les poissons et les volatiles,
Tout s'en mêlait. C'était un désordre, un fracas,
Un véritable mardi gras :
La grenouille essayait les airs de Philomèle ;
L'abeille avait cédé ses ruches aux frelons ;
Devant les étourneaux fuyaient à tire-d'aile
Les éperviers et les faucons.
Les lièvres pourchassaient chiens courants et levrettes ;
Le renard en gloussant menait les dindonneaux ;
Les écrevisses, les blaireaux
Défiaient à la course et lapins et belettes.
L'ours gardait les chevreuils, et le loup les agneaux ;
Les chiens miaulaient sur la gouttière ;
Le singe à la charrue attelait les pourceaux ;
Les taupes, les hiboux expliquaient la lumière ;
Et, pour jouer dans la poussière,
La carpe et le brochet s'élançaient hors des eaux.
Surpris de cette extravagance,
Un corbeau voyageur avise un perroquet,
Dont l'intarissable caquet,
De ces renversements célébrait l'excellence ;
Et déjà du bavard le corbeau se moquait,
Quand une vieille pie, ambulante gazette,
Lui cria : « Sifflez donc le drôle et sa recette.
Vous voyez les effets de nos nouvelles lois :
C'est notre roi lion qui, dans un beau délire,
A dit : « Tout citoyen sera dans mon empire
Admissible à tous les emplois. »
Chacun, depuis ce temps, se croit propre à tout faire.
Les perroquets surtout ; ils sont pis que des rois :
Ce bavard est ministre et dit que tout prospère ;
Mais nul ne veut, comme autrefois,
Faire le métier de son père.
- Oui ! répond le corbeau, la paix soit avec vous !
Je vais poursuivre mon voyage :
La loi de ce pays est fort juste et fort sage,
Mais les habitants sont des fous. »