Les Animaux frondeurs Charles Desains (1789 - 1862)

Lorsque dans les ménageries
Le loisir me retient auprès des animaux,
Je compare leurs mœurs, j'écoute leurs propos,
Puis il sort de mes rêveries
Quelques apologues nouveaux.
Voici le dernier fait. Sous un épais ombrage
Plusieurs bêtes en esclavage,
N'ayant rien à faire, jasaient,
Et, bien entendu, médisaient,
Comme en tant de lieux c'est l'usage.
Je vous réponds des mots que je vais rapporter,
Car des bêtes, sans me vanter,
J'ai toujours compris le langage
L'Ane, fort mécontent de l'Université,
Sur un ton dédaigneux frondait l'Académie.
Plus loin, une Tortue, à l'allure endormie,
Trouvait chez les Chevreuils peu de légèreté.
Quand du fond de la cage où grognait sa vieillesse,
L'Ours lé plus mal léché soutint que la beauté,
Les grâces et la gentillesse
Sont rares à Paris comme l'urbanité.
Il aurait en ce jour eu moins de hardiesse
Si devant vous il eût été.
Le Lièvre, dont l'audace est passée en proverbe,
Disait, en se cachant sous l'herbe :
Personne plus que moi n'admire nos soldats :
Cependant, je voudrais les voir dans les combats
Rappeler un peu plus notre antique vaillance.
Qui, bravant la rigueur des plus lointains climats,
Enchaînait mille potentats
Au char triomphant de la France !
Je vis enfin les Loups, ces héros d'innocence,
Qui de sang et de vol s'étaient souvent repus,
Rougir et s'indigner de nos temps corrompus,
Où, disaient-ils, le crime envahit l'opulence,
Où, dans l'obscurité, gémissent les vertus.
Je ris de ces grands mots, et dès lors je conclus,
Car sans conclusion la fable est inféconde,
Que ceux qui devraient dans le monde
Pour de.bonnes raisons se montrer indulgents,
Sont toujours les plus exigeants.
Je fis encore une remarque,
C'est qu'on peut se moquer d'un sévère Aristarque,
S'il n'est pas en son cœur comme dans ses discours.
Plus vertueux qu'un Loup et plus poli qu'un Ours.

Livre II, fable 19




Commentaires