Il est, durant l'année, un temps ou la Folie
Du bruit de ses grelots étourdit la Raison ;
C'est le temps où l'on voit des masques à foison,
Le temps où le plaisir semble une frénésie,
Où la vertu souvent et chancelle, et s'oublie,
Le Carnaval, s'il faut l'appeler par son nom.
Il régnait, et jusques aux nues
Montaient les cris de la gaîté :
Tous les sous mis en liberté,
Semblaient circuler dans les rue».
Sur un char on voyait traîné
Un Gille en robe doctorale,
Et, plus loin, Lais, ou Phryné,
Sous le voile d'une vestale ;
On voyait des seigneurs déguisés en Crispins,
Des laquais en sultans, des goujats en Altesses,
Des magistrats en Arlequins,
Des cuisinières en princesses.
Un jeune homme voulut se donner le plaisir
De se mêler à cette orgie,
Et, sortant du collège r il crut devoir choisir
Un costume nouveau dans la Mythologie.
Son père fut son confident.
Je vais, lui dit le fils, pour un jour seulement,-
Me masquer, mais d'une manière
Bien étrange, bien singulière,
Faite pour m'attirer maint applaudissement.
Deux masques serviront à mon déguisement :
J'aurai, nouveau Janus, une double visière ;
Et, par un prodige étonnant
Qui frappera la ville entière,
Je rirai toujours par devant,
Et je pleurerai par derrière.
Le vieillard à son fils répond, en souriant,-
Avec une aimable indulgence :
Le rôle que tu vas jouer en ce moment
Est, parmi les humains, plus commun qu'on ne pense ;'
Du masque de Janus combien ont hérité !
Sa nombreuse postérité
S'étend en tout pays, et surtout dans le nôtre.
Véritables fléaux, de la société,
Les Janus avec art nous flattent d'un côté,
Quand ils nous déchirent de l'autre.

Livre I, Fable 3




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